Journal
Marc Mauillon chante Fauré à la salle Cortot – Moment rare – Compte-rendu
Florilège d’une trentaine de pièces isolées couvrant la carrière de Fauré de 1861 à 1906, le programme de l'enregistrement est repris, sans la moindre modification, pour le récital que les artistes donnent à Cortot, devant un public nombreux malgré les embarras des transports parisiens. Il permet en effet de comprendre, de ressentir, l’évolution de Fauré, sa préparation aux cycles admirables que la fin de sa longue existence vit naître.
Le Papillon et la Fleur, Rêve d’amour, Notre amour, etc. : bien des pièces pourraient, confiées à des interprètes moins inspirés, virer au doucereux, au sentimentalisme niais. Rien de cela avec Mauillon et Le Bozec, mais un tact, une saveur, une vie, une verdeur aussi – on ne se souvient que de tardives photographies de Fauré, mais avant d’être vieux il fut un sacré séducteur ! ... – qui apportent un relief irrésistible à la musique. Le baryton sonde les caractères, avec une grande souplesse de ligne et un profond amour des textes, sans jamais donner le sentiment de « faire un sort » au morceau. Simplicité, élégance, esprit de la chanson – genre si intimement lié à la culture française – règnent en maîtres. Des mélodies associées aux salons de l’époque ? Sans nul doute, mais du salon au caf’ conc’, le chemin était bien plus court que d’aucuns ne l’imaginent – une anthologie de vieilles cires « Marcel Proust & Reynaldo Hahn au Café-Concert » (2) est d’ailleurs venue le rappeler il y a quelques mois – ; ce que nos interprètes comprennent à la perfection.
Marc Mauillon bien sûr, mais aussi une très grande pianiste qui n’"accompagne" pas le chanteur ; elle l’inspire plutôt, s’émerveillant des notes qu'elle a sous les mains. De sa partie (banale parfois : ex. Le Papillon et la Fleur, Tristesse), Anne Le Bozec fait de l’or avec un art du timbre et une pédalisation confondante de subtilité (sveltesse des Roses d’Ispahan, impalpable fluidité d’Accompagnement ...), une dimension visuelle aussi, capable d’une saisissante force suggestive (La fleur qui va sur l’eau).
Des moments graves, douloureux, amers, pétris de doutes ponctuent le récital ; la Chanson du pêcheur, Larmes, Au cimetière, Dans la forêt de septembre ne visent pas moins juste (avec quelle déchirante pudeur la « première feuille morte » tombe-t-elle Dans la forêt de septembre ...). Quant au Fauré verlainien, il est bien présent : Clair de lune, Mandoline et Sourdine traduisent avec une mélancolique et rêveuse tendresse l’art supérieur des interprètes.
En bis, comme pour nous rendre plus impatients de les voir se lancer dans les derniers cycles, ils offrent les Vaisseaux conclusifs de l’Horizon chimérique, bouleversants, et reprennent En sourdine. La pièce pourrait revenir cent fois que le bonheur serait toujours aussi grand – dans le lieu le plus parfait de Paris pour la mélodie. (3) Moment rare ...
L’actualité des semaines à venir sera très baroque pour Marc Mauillon, mais notez que le 5 avril prochain, à la Cité de la musique, il fera équipe avec Alain Planès dans des mélodies de Poulenc, Satie et Milhaud à l’occasion du week-end Picasso de la Philharmonie.
Alain Cochard
(1) www.concertclassic.com/article/marc-mauillon-et-anne-le-bozec-faure-et-ses-poetes
(2) Anthologie 1890-1913, choisie et présentée par Jean-Yves Patte ( 1CD Frémaux et Associés / FA 5731)
(2) Organisé à l’initiative de François Le Roux et de l’Académie Francis Poulenc de Tours, le 3ème Printemps de la Mélodie Française, se tiendra à Cortot le 29 mars prochain (de 14h 18h) autour du thème des animaux. La matière ne manquera pas ! www.melodiefrancaise.com/agenda
Photo © Inanis
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