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Marie-Ange Nguci inaugure le 35e Festival Chopin à Paris – L’art de réinventer – Compte-rendu
Rondo op. 16 de Chopin : facile d’être bavard et creux dans cet ouvrage tout imprégné encore de style brillant. Par sa palette sonore, sa variété d’attaque, l’interprète montre d’emblée l’imagination dont elle est capable, sans rien surcharger, avec fraîcheur et humour. Et d’enchaîner sur Debussy : des Reflets dans l’eau stupéfiants de fluidité, mais fuyant les brumes comme la peste, avec des couleurs pleines, intenses. Elles ne font pas moins merveille dans la rare et savoureuse Image oubliée n° 3 (Quelques aspects de « Nous n’irons plus au bois ... » parce qu’il y fait un temps insupportable). Et f...... moi la paix avec votre « impressionnisme » à la noix, semble lancer Claude de France !
Chopin à nouveau et son 2ème Scherzo, morceau archi-rabâché que, comme Mephisto-Valse et quelques « tubes » de ce genre, on aurait tendance à fortement redouter tant on les a entendus sous des doigts aussi brillants qu’ininspirés. Réinventer une telle pièce n’est pas donné au premier venu ; avec Nguci elle se mue en un poème fantasque aux couleurs merveilleuses. La puissance de l’imaginaire à l’œuvre ici stupéfie littéralement. On croirait que Chopin discute avec Poe et Debussy autour d’un alcool puissant. Fabuleux !, tout comme le 3ème Scherzo qui suivra un peu après, admirablement dominé mais sans jamais rien d’asséné, de tape-à-l’œil, animé d’une rage secrète, d’une poésie sombre et troublante. Vertigineux !
Entre les Opus 31 et 39 du Polonais, deux Etudes de Ligeti (Automne à Varsovie, L’escalier du Diable) déploient une virtuosité phénoménale certes, mais qui n’a d’autre dessein que la couleur, le caractère et mue le piano en un véritable orchestre.
Il fait se orgue enfin – l’un des instruments que Nguci pratique « pour le plaisir » à côté du piano, avec le violoncelle et les ondes Martenot (!)– dans le Prélude, Choral et Fugue de Franck. La pianiste a enregistré cet ouvrage au sein d’un premier récital, remarquable, paru à la rentrée dernière chez Mirare (1). Quelle évolution au cours des mois qui se sont écoulés depuis la réalisation de ce disque. Par ses couleurs, son souffle, la profondeur des basses, la souplesse de phrasés toujours attentifs à l’architecture de l’édifice sonore, cette interprétation semble invoquer les mânes de Blanche Selva et d’Alfred Cortot.
Du grand art. L’enthousiasme du public est à la mesure ce qu’il vient de vivre. Marie-Ange Nguci ajoute deux bis à son bonheur : la cadence du Concerto pour la main gauche de Ravel et Toccata op. 111 n° 6 de Saint-Saëns.
La fête du piano commence à Bagatelle et, d’ici au 14 juillet, vous pourrez y entendre Claire Désert, François Dumont, Leonardo Pierdomenico, Philippe Bianconi, Alexandre Kantorow, Vardan Mamikonian, Guillaume Bellom et Ismaël Margain en duo, Angnieska Korpyta, Lukasz Krupiński, Caroline Sageman et Jean-Claude Pennetier.
Le paon de Bagatelle ? Il se porte comme un charme, merci.
Alain Cochard
Paris, Orangerie du Parc de Bagatelle, 23 juin 2018 / www.frederic-chopin.com/pages/festival-chopin-a-paris/35e-festival-chopin
Marie-Ange Nguci se produira au Festival de la Roque d'Anthéron le 7 août (église de Lambesc) et au Festival Piano aux Jacobins de Toulouse le 17 septembre (Saint-Pierre des Cuisines)
Photo © Caroline Doutre
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