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Matthias Pintscher dirige Ligeti, Kurtág et Bartók à la Philharmonie – Une grande soirée hongroise – Compte-rendu
Epaulés par leurs aînés de l'Ensemble intercontemporain, les étudiants de l'Orchestre du Conservatoire de Paris ont déployé un beau panorama de la musique hongroise du XXe siècle, de Béla Bartók à György Kurtag, en passant par György Ligeti. Si San Francisco Polyphony n'est pas l'opus le plus mémorable ni le plus significatif de l'auteur du Grand Macabre, en revanche Stèle, de György Kurtág, est un authentique chef-d'œuvre.
Composée en 1994 à l'intention du Berliner Phiharmoniker et de son chef Claudio Abbado, cette symphonie funèbre requiert des pupitres inhabituels. Outre le cymbalum — instrument populaire typiquement hongrois, auquel Igor Stravinsky, avec Renard, a donné ses lettres de noblesse — une flûte alto en sol et une flûte basse, une clarinette contrebasse intriguent l'œil autant que l'oreille. Leur timbre grave dispense une couleur sombre, un ton violent et dramatique qui ne pouvaient mieux préparer à l'atmosphère oppressante du Château de Barbe-bleue, l'unique opéra de Béla Bartók.
Saluons d'emblée la direction magistrale de Matthias Pintscher (photo). On a souvent entendu en concert l'interprétation de Pierre Boulez ; Le Château de Barbe-bleue était l'une de ses œuvres de prédilection. La version de ce soir ne cède en rien à sa précision et à sa distinction légendaires. Mais Pintscher y ajoute une respiration ample et profonde, un lyrisme ardent qui nous rappellent à propos que cet opéra est aussi une vibrante histoire d'amour, le récit d'une nuit de noces, autant qu'un drame de l'incommunicabilité et de la solitude à deux.
Familiers des rôles, chantant par cœur, les deux solistes donnent à leur personnage une vérité et une humanité bouleversantes. Magnifique Judith de Michelle de Young, d'une stature léonine, à la fois sincère et rouée, à laquelle le Barbe-Bleue pathétique du Canadien John Relyea n'oppose qu'un fragile rempart de tendresse désarçonnée. Laissant percer un à un ses secrets (l'ouverture des sept portes), l'homme est une forteresse ébranlée, à l'image de son château, dont les murs suintent sang et larmes. Un roi sans divertissement, perdu dans une nuit interminable, comme le ressassement sans fin de motifs pentatoniques, aux pupitres de cordes, qui ouvrent et ferment l'opéra.
Gilles Macassar
Paris, Philharmonie, Grande Salle, 28 janvier 2017
Photo M. Pintscher © Aymeric Warmé-Janville
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