Eclats : le mot évoque images, des fragments de lumière, des bruits soudain de voix, les arêtes acérées d’une pierre précieuse, la manifestation soudaine d’un sentiment, la magnificence ... Eclats, c’est en effet un feu d’artifice coloré d’idées, de créations, de surprises imaginées par Sophie Grelié et Stéphane Guignard.

Sophie Grelié © Eric Chabrely

Les deux artistes se sont rencontrés il y a un peu plus de trente ans sur les bancs de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, où officiaient Marie-Françoise Lacaze et Guy Maneveau (fondateurs du département musique de l’établissement en 1971). Pionniers d’une pédagogie basée sur la créativité, formés à la musique contemporaine auprès d’Olivier Messiaen, ces deux pédagogues inclassables ont durablement influencé des générations de chefs de chœur, de musiciens et d’enseignants.
Sophie Grelié et Stéphane Guignard revendiquent également leur passion pour la transmission et ont placé l’enfant au cœur de leur pratique et de leur recherche. Sophie est une musicienne et ethnologue dont l’attention pénétrante donne naissance à de multiples rencontres. Stéphane se passionne pour la flûte, autant que pour la danse et le théâtre.

Stéphane Guignard © DR
 
De cet enthousiasme partagé est né d’abord un collectif de créateurs qui entraînent, depuis trente ans cette année, tous les publics, dans un mouvement qui a pour objet la richesse infinie du monde sonore et musical, ainsi qu’un lieu, à Bordeaux, rue Vergniaud, à la frontière de plusieurs mondes sociaux et culturels – un espace modulable de 300 m2 qui accueille ateliers, formations et  spectacles. Eclats, c’est la poésie sonore du monde d’aujourd’hui destinée à ceux qui se construisent et pour qui tout apprentissage est une ouverture, principalement les enfants, « parce que le jeune et le très jeune enfant méritent toute l’attention des artistes ».
 
Toujours en recherche, l’équipe renouvelle sans cesse les expériences et le tout jeune enfant constitue une priorité. Durant l’année 2017, des crèches ont par exemple été le cadre du projet Graine de Voix, autour de la voix lyrique contemporaine. Trois chanteuses, Nadine Gabart et Muriel Ferraro – associées de toujours – et Valérie Philippin se sont installées dans trois lieux de la petite enfance à Bordeaux et ont chacune proposé des parcours entre déambulation, échanges avec les animateurs et les parents, mises en voix… Geneviève Schneider, d’Enfance et Musique, a filmé ces moments qui servent de base à des journées professionnelles de réflexion. A Eclats, formation et création sont toujours mêlées.
Le projet, imaginé par Sophie Grelié, répond à son questionnement sur l’origine : avec les bébés, elle retrouve cette source des sons, des gestes, à cet endroit précis où se trouve le tout petit d’homme, qui est le premier explorateur de cet univers, « un chasseur de sons » comme le définissait une autre spécialiste de la petite enfance, Chantal Grozleziat.

 

Le plancher musical © Frédéric Desmesure

La musique électro-acoustique, qui se nourrit du vivant, et la voix, fournit aux artistes les instruments pour approfondir leur exploration. A Eclats, on imagine aussi des installations sonores comme le « plancher musical » qui donne au corps de l’enfant qui se déplace, sautille ou danse, le pouvoir d’inventer des séquences musicales. Il s’agit d’un grand damier dont les carrés sont couverts de signes et de couleurs. Les signes correspondent à des sons, les couleurs à des variations de ces sons – sur une musique originale d’Agnès Poisson. En se déplaçant, de façon aléatoire ou raisonnée, les enfants (à partir de 3 ans) inventent leur propre partition ou s’abandonnent à la joie du hasard… Après avoir voyagé depuis plusieurs années en France et à l’étranger, le « plancher » va s’installer, de décembre 2017 à mai 2018, dans les écoles de Bordeaux et sera ainsi arpenté par des centaines d’enfants.
 
Mais à Eclats, on crée également des spectacles. La matière première ? La musique qui s’écrit aujourd’hui ou celle d’un passé récent : Berio, Cage, Scelsi, une musique mise en espace pour parler directement au public auquel elle s’adresse ; des enfants souvent très jeunes et leur familles, mais aussi des auditeurs curieux de ces langages. « Le spectacle, expliquent les artistes, c’est le vivant de la musique contemporaine, une énergie en direct, un plaisir partagé, une jouissance collective qui prend corps avec ses imprévus, sa fragilité à chaque fois renouvelée. »
 

Groink © Pierre Planchenault

Depuis Pan, en 1992, spectacle fondateur inspiré par Syrinx de Debussy, Stephane Guignard a imaginé plus de dix productions dont certains tournent toujours. C’est le cas de Groink, « opéra de trois soues » (sic), créé en 2015, qui marque une étape dans le processus créatif de son auteur, pulsionnel, décalé, associant trois percussionnistes et une chanteuse. Il en émerge certainement la mémoire sensible de Stéphane Guignard, le jukebox et les bruits du café où il a grandi mêlés aux paysages sonore qu’il a gardé d’une petite enfance à la campagne.
 

Détours © F. Desmesure
Les spectacles d’Eclats nous permettent aussi, à nous adultes, de retrouver cet émerveillement de la découverte : apprendre à ré-entendre souffler le vent, bruisser les feuilles, faire remonter la mémoire ou accepter le silence. Ainsi, du tryptique Tours, décliné en Détours (photo), Tour de main et Tour de Voix, trois spectacles imaginés par Sophie Grelié (que l’on pourra bientôt découvrir à Bègles puis à Lormon).  Deux partitions à une voix, l’une pour un percussionniste Sébastien Clément qui répond au plaisir enfantin de l’« Encore ! », l’autre pour Valérie Philippin, qui fait le tour du monde avec sa voix. Elles se conjuguent en une troisième ; un face à face entre les deux musiciens qui déjoue les mots et les sons – « les petits détours font les grandes rencontres »…
 
Toujours dans le mouvement, dans la remise en question fructueuse, le duo Sophie Grelié et Stephane Guignard s’est servi de cet anniversaire pour réfléchir à l’expérience vécue et aux raisons de sa longévité. C’est la source de nouveaux projets : Stéphane Guignard prépare une forme opératique sauvage, inspirée du Livre de la Jungle de Rudyard Kipling, sur une musique de Jean-Christophe Feldhandler et un livret de Sandrine Roche, un récit initiatique qui interroge le civilisé et le sauvage et le rapport de l’enfance au monde animal.
Quant à Sophie Grelié, dans le prochain spectacle « Toi et Moi dix doigts », c’est la guitare qu’elle a choisi de revisiter avec la complicité du musicien Rémy Reber.
Les Eclats ne faiblissent pas !

Dominique Boutel

Le plancher musical, le temps des familles, les 15 et 22 novembre de 14h à 17h à Eclats, Bordeaux,
 
Détours/ Tour de main/ Tour de voix du 30 novembre au 2 décembre à Bègles puis les 12 et 13 décembre à Lormont
 
Groink, le 10 décembre à Tonneins (47) à 16h à partir de 3 ans
 
Babel Bi Bo Bu, avec Valérie Philippin, le 25 novembre à 15h30 à Eclats, Bordeaux
 
Site de la compagnie Eclats : www.eclats.net
 
Photo (Détours) © F. Desmesure