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Musique et Jeune Public (6) – Le Piano ambulant et son Ring « de poche »

Réécrire le Ring de Richard Wagner pour six instrumentistes-acteurs, résumer quatorze heures de musique en une seule ; voici le genre d’aventure qu’affectionne Le Piano ambulant – un collectif de musiciens lyonnais, qui, après dix-sept années d’existence, compte plusieurs mémorables transcriptions à son actif. Ainsi est né le spectacle Comment Siegfried tua le dragon et caetera, que la compagnie transporte à Paris puis à Tourcoing à la fin de ce mois de mars.
 
Pratique très ancienne, la transcription, au XIXe siècle, à favorisé la diffusion dans le cadre intime du salon de chefs-d’œuvre symphoniques et lyriques, les rendant disponibles en format « de poche ». Sur le plan purement musical, la transcription est aussi une épure qui, à l’instar de emballages de Christo, révèle l’architecture, la structure des œuvres, dont elle souligne les lignes de force en ne conservant que l’essentiel, en resserrant le point de vue.
Art complexe que celui demandant à la fois une grande compréhension de l’original mais aussi un savoir faire qui ne dénature pas la musique mais au contraire réinvente la partition tout en lui restant fidèle.
 
Le Piano ambulant © Bertrand Pichène

Un défi que Le Piano ambulant a remarquablement relevé avec son digest du Ring. Pas de chanteurs, ni de costumes ; seulement un narrateur et six multi-instrumentistes(1), pour une vrai recréation ! Quant à Wagner, il est bien là ! D’abord dans le résumé très clair de la complexe histoire de la Tétralogie, mais aussi parce que le travail collectif d’écriture opéré par les musiciens surdoués du Piano Ambulant magnifie le génie du composieur : thèmes et leitmotive sont confiés à un ensemble assez surprenant ; des instruments classiques (piano, cordes et vents), mais aussi des intervenant plus inattendus dans ce contexte : un accordéon, un orgue indien, des appeaux et de l'électronique. Et tout y est, fidèle et différent, poétique et expressif !

Non contente de réduire certaines œuvres à l’échelle d’un ensemble de musique de chambre – ce fut le cas pour la Boîte à joujoux de Debussy, Petrouchka de Stravinski, des ballets de Chostakovitch – la compagnie opte souvent pour un instrumentarium où des instruments familiers se mêlent à d’autres, plus inattendus (scie musicale, mélodica, kazoo, etc.), offrant une palette sonore qui, comme les musiciens l’expliquent « permet à l’acte de transcription de se positionner au delà d’un simple « faire sonner » pour chercher une véritable réécriture personnelle et actuelle ».
Le parti pris du Piano ambulant réinstalle l’œuvre totale qu’est le Ring dans la lignée des grandes fresques contemporaines chères aux jeunes générations – « Le Seigneur des anneaux » ou « Game of Thrones » – tout en permettant de saisir la nature du drame wagnérien. Gageons que cela devrait séduire de jeunes auditeurs avides d’aventures héroïques, ainsi que des mélomanes avertis à l’oreille vagabonde.

Antoinette Lecampion & Joël Schatzman © Bertrand Pichène

Comme son nom le sous-entend, Le Piano Ambulant est né (en 2001) du désir de ses deux fondatrices, la violoniste Antoinette Lecampion et la pianiste Sylvie Dauter, d’emmener la musique classique en dehors des salles de concerts traditionnelles pour la faire découvrir à un public plus large. A cette fin, elles dessinent et font construire la remorque qui contiendra le fameux piano et quelques autres accessoires et se lancent sur les routes. A chaque étape, la remorque s’ouvre, pareille à une boîte magique et la musique s’élève en plein air, devant un public émerveillé. Elles sont très vite rejointes par d’autres musiciens issus comme elles des plus grandes établissements d’enseignement, la flûte de Christine Comtet, le hautbois de François Salès et le violoncelle de Jol Schatzman, qu’intéresse une façon de partager la musique et de la vivre autrement.

 Cette envie de transformer le rapport au spectacle vivant conduit rapidement les membres du Piano ambulant dans des endroits où la musique ne se fait pas toujours entendre, tout du moins, de façon vivante : places de villages, brasseries de Lyon et d’ailleurs  pour un Háry János de Zoltan Kodaly mémorable, écoles, prisons ;  ils s’associent également à d’autres formes scéniques (cinéma, théâtre, ombres chinoises) ; ainsi « Debussy peut alors croiser l’art vidéo, Stravinski la fête foraine et Wagner les musiques amplifiées ».
 
Et que tout ceux qui n’ont pas la possibilité d’aller découvrir Comment Siegfried tua le dragon et caetera en concert se consolent : un bel enregistrement est disponible chez Paraty !
 
Dominique Boutel

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(1) Jessica Pognant : narration, Sylvie Dauter : piano, orgue indien, harmonium, synthétiseur, mélodica, appeaux, Christine Comtet : flûte, flûte en sol, piccolo, synthétiseur, mélodica, appeaux, enclume, tom basse, voix de Loge et de Brünnhilde, François Salès : hautbois, cor anglais, mélodica, appeaux, grenouille, enclume, voix des géants et de Siegfried, Antoinette Lecampion : violon, alto, orgue indien, appeaux, enclume, Joël Schatzman : violoncelle, appeaux, voix d’Alberich et de Gunther, Charlie Adamopoulos : basse électrique, voix de Wotan et de Hagen, Antoine Colonna : mise en son et dispositif MAO temps réel.

 
« Comment Siegfried tua le dragon et caetera »
24 & 25 mars 2018 - 15h
22 & 23 septembre 2018 -15h
Cité de la musique (Amphithéâtre)
philharmoniedeparis.fr/fr/activite/spectacle-jeune-public/18013-comment-siegfried-tua-le-dragon-et-caetera
 
27 mars 2018 - 20h
Tourcoing - Maison Folie Hospice d'Havré www.ecouter-voir-tourcoing.com/comment-siegfried-tua-le-dragon
 
Site du Piano ambulant :
www.lepianoambulant.com
 
Photo © Bertrand Pichène

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