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Musique_et_entreprise - Une interview de Martine Tridde-Mazloum, déléguée générale et d’Alexandre Carelle, responsable du pôle programmes Culture à la Fondation BNP Paribas
« Le mécénat doit garder une part d’inattendu, de risque »
Les 20èmes Assises du mécénat d’entreprise se sont tenues les 9 et 10 mai à Marseille. Au lendemain de ce rendez-vous, Concertclassic a interrogé Martine Tridde-Mazloum et Alexandre Carelle sur la situation du mécénat culturel dans le contexte économique actuel et la manière dont la Fondation BNP Paribas oriente sa politique.
Vous avez participé les 9 et 10 mai à Marseille aux 20èmes Assises du mécénat d’entreprise, quel bilan en tirez-vous ?
Martine Tridde-Mazloum : D’abord cette impression que le mécénat, en particulier celui qui s’exerce en faveur de l’expression artistique et culturelle, avait le blues ! Ce n’est pourtant pas le moment de baisser les bras. Bien sûr les chiffres parlent et la publication il y a quelques mois de données concernant l’année 2009 (1) a suscité une vague légitime d’inquiétude. Pour ma part, je reste convaincue qu’il s’agit d’une baisse conjoncturelle, qui est la conséquence prévisible de la crise. Attendons les résultats de la prochaine enquête qui sera publiée fin 2012, et d’ici là continuons de nous mobiliser. Rien ne serait pire que d’ignorer, voire de décourager, par une attitude défaitiste, les belles initiatives qui se poursuivent dans ce domaine, quelle que soit la taille des entreprises ou celle des porteurs de projets.
Ce qui me paraît plus grave, c’est le mélange des genres auquel on assiste. Les entreprises ne vivent pas repliées sur elles-mêmes, et le mécénat est l’une des expressions du regard qu’elles portent sur la société. Donc, rien de plus normal à ce que le mécénat se soit développé ces dernières années dans les domaines de l’éducation et de la solidarité. Mais prenons garde !, il ne faudrait pas que la prise de conscience de l’importance de ces questions ne vire à une forme de bonne conscience. Soutenir les initiatives pédagogiques d’un festival, les actions culturelles d’un musée, les programmes de sensibilisation des publics – et de préférence jeunes !... – d’une maison d’opéra ou d’un théâtre, c’est formidable... A condition de ne pas oublier deux choses : ces structures n’ont pas attendu les entreprises pour mettre en place, et depuis longtemps, ce type de programmes ; et elles ont d’abord besoin des moyens d’accueillir des artistes, de produire des spectacles, de monter des expositions.
En poussant à l’extrême, on aura tous les publics que l’on veut mais l’offre de concerts, de spectacles et d’expositions de qualité va diminuer, et l’on aura détourné la vocation et la raison d’être des artistes. Ce que je constate, et qui me trouble beaucoup, c’est la réticence des entreprises à affirmer haut et fort leur engagement dans le domaine artistique et culturel, en recherchant à « l’habiller » d’une enveloppe sociale ou éducative. Tout se passe comme si l’engagement envers des causes sociales était mieux porté que le fait de soutenir un projet artistique. Mais les deux sont tout aussi essentiels au meilleur être des hommes, et « sacrifier » l’artistique au profit du social deviendra une nouvelle source de déséquilibre et d’exclusion.
Alexandre Carelle : En revenant des 20èmesAssises du mécénat on a le sentiment de se trouver au milieu du gué. Personne ne sait exactement quelle place donner au mécénat au regard de la RSE (Responsabilité sociale, ou sociétale, de l’entreprise, ndlr) et c’est là un deuxième mélange des genres. La RSE est une donnée légale qui intègre des obligations liées directement à l’exercice quotidien des activités d’une entreprise vis à vis de ses parties prenantes – salariés, clients, fournisseurs, actionnaires – et qui intègre également des responsabilités vis à vis de la société civile. Du coup, le champ d’expression du mécénat étant naturellement la société, le risque est grand de le voir instrumentalisé, récupéré dans une politique de RSE. En réalité, les deux doivent aller de pair, se compléter dans un dialogue fructueux, sans que l’un ne vienne se substituer à l’autre.
On le ressentait bien lors de ces Assises : d’un côté la RSE et ses obligations qui s’affirment principalement dans le champ social, de l’autre des impératifs de communication qui contraignent les porteurs de projets à « créer l’événement » pour répondre aux attentes des entreprises. Le mécénat se retrouve souvent tiraillé entre les deux, et si l’on n’y prend garde, le piège peut être fatal.
M. T. M. : Effectivement ! Le mécénat est certes un outil de communication pour les entreprises, mais il doit garder ce qui en fait l’essence depuis toujours : la part d’inattendu et de risque, l’aléatoire d’une rencontre qui fait que soudain des mondes qui se méconnaissaient vont construire ensemble, et l’inscription de cette relation dans la durée et la confiance. On pourra toujours édicter des règles de bonne pratique, signer des conventions avec des partenaires, se mettre d’accord sur des contreparties… Tout cela doit à mon sens rester dans un cadre relativement souple et surtout non systématique. Chaque entreprise a son histoire, sa culture, son approche de ces questions, et je ne vois pas comment encadrer ce qui doit demeurer de l’ordre de la rencontre, de la conviction mutuelle, de l’envie, du partage.
Ne souffre-t-on pas par ailleurs de l’attitude de beaucoup de nos responsables politiques vis-à-vis des arts, et en particulier de la musique classique souvent perçue comme « bourgeoise » ou « élitiste » ?
M. T. M. : Il est vrai que l’on observe un certain flottement à cet égard… Ce qui est sûr, c’est qu’une politique culturelle publique qui reflète un engagement et des convictions a des effets vertueux sur le mécénat, comme c’est le cas dans nombre de territoires. Les entreprises n’ayant ni l’envie ni la vocation de se substituer au rôle des pouvoirs publics, elles trouvent là une forme de modèle et d’incitation à s’inscrire dans un projet plus global.
A. C. : Lorsqu’une entreprise comprend que la question culturelle occupe un rôle central que ce soit au niveau de l’Etat ou d’une collectivité territoriale, elle se sent plus légitime pour intervenir. D’ailleurs, on constate que le mécénat a fleuri au moment où l’investissement de l’Etat a été important – investissement financier, mais aussi engagement symbolique. Il faut aussi souligner que, contrairement à que certains peuvent imaginer, on n’a pas affaire à un système de vases communicants ; ce n’est pas parce que l’Etat ou les collectivités locales se désengagent que les entreprises vont prendre le relais. C’est même l’effet inverse qui se produit souvent.
En quoi se singularise le mécénat culturel de la Fondation BNP Paribas dans le difficile contexte économique actuel ?
A. C. : Nous sommes restés fidèles à notre idée initiale du mécénat : une action de proximité, et une approche pluridisciplinaire qui s’attache aussi bien à la connaissance du patrimoine qu’à la création ou à la diffusion des œuvres. Notre action en faveur du patrimoine a ceci d’original qu’il s’agit de deux programmes que nous avons inventés pour répondre plus particulièrement aux besoins des musées : la restauration d’œuvres d’art et l’édition d’albums sur leurs collections permanentes. En ce qui concerne le soutien à la création, nous avons eu de tout temps un appétit particulier pour les domaines peu prisés par le mécénat d’entreprise : danse contemporaine, nouveaux arts du cirque, et musiques de jazz, en tissant une relation très singulière, au jour le jour, avec les artistes. C’est d’ailleurs ce qui crédibilise l’appui que nous apportons parallèlement à quelques institutions « repères » dans ces domaines.
M. T. M. : Il importe de préciser que dans le même temps, nous avons poursuivi et amplifié nos interventions en faveur de l’action sociale, de l’éducation, de la recherche médicale et de l’environnement. Mais à aucun moment, cela ne s’est fait au détriment des programmes culturels, qui représentent toujours une part conséquente du budget de la Fondation (43 %) avec 3 personnes dédiées à plein temps à ce secteur. C’est un choix, ce sont des convictions, totalement assumées et partagées non seulement au niveau de la direction générale et de la direction de la communication, mais aussi des directions opérationnelles et des salariés de la Banque. Notre engagement - j’ajoute persistant ! - dans le domaine artistique et culturel est perçu comme un signe de curiosité et de vitalité, qui a des répercussions positives sur l’environnement dans lequel évolue notre entreprise, et donc… sur son image.
Nos engagements de départ restent inchangés. Avec les années, ils se développent, parfois prennent de nouvelles formes et franchissent les frontières de l’hexagone. Il en est ainsi pour le jazz. Tout en continuant d’épauler directement des musiciens, nous avons tissé plusieurs partenariats avec des festivals, en France (Jazz à Saint-Germain-des-Prés, Jazz à l’Etage à Rennes,….) et à l’étranger : Tanjazz au Maroc, Saint-Louis Jazz au Sénégal, Jazz in Sofia en Bulgarie, North Sea Jazz à Rotterdam. Et puis aussi, avec un concours de la Mairie de Paris porté par une magnifique personnalité : le Concours Piano Jazz Martial Solal.
Et qu’en est-il de la musique classique ?
A. C. : L’épopée des Chemins du baroque en Amérique latine que nous avons accompagnée depuis 20 ans, va connaître son point d’orgue à l’automne, avec l’opération Caminos 2011. Elle aura été pour nous l’occasion de vivre parallèlement d’autres splendides aventures bien sûr auprès de Gabriel Garrido et son ensemble Elyma, mais aussi de Hervé Niquet (Le Concert Spirituel), Jean-Christophe Frisch (XVIII-21, le baroque nomade), Eduardo Egüez (La Chimera), Judith Pacquier et Etienne Meyer (Les Traversées baroques). Ces partenariats arrivant à leur terme dans les mois ou années qui viennent, le moment nous a semblé venu de redessiner, à l’horizon de la fin 2012, les contours de notre investissement à venir dans la musique classique, avec, en écho, un accompagnement des lauréats du Concours Reine Elisabeth de Belgique, dont BNP Paribas Fortis en Belgique est l’un des mécènes historiques. Nous allons ainsi recentrer nos actions autour des partenariats que nous avons tissés auprès de grands festivals de piano en France - Piano aux Jacobins à Toulouse, L’Esprit du Piano à Bordeaux, la Folle Journée à Nantes (pour le volet piano de sa programmation) et le Lille Piano(s) Festival – mais aussi à l’international avec les festivals d’Echternach et de Bourglinster au Luxembourg ou encore le Maggio della Musica à Naples.
Qu’est-ce qui vous a incité à vous tourner vers une manifestation telle que le Lille Piano(s) Festival ?
M. T. M. : Le Lille Piano(s) Festival est né dans le cadre de Lille2004 Capitale européenne de la culture. Il n’aurait pu être qu’un événement parmi d’autres, mais la volonté des tutelles de le pérenniser a incité la Fondation BNP Paribas et la direction régionale de BNP Paribas à apporter leur soutien à l’Orchestre National de Lille pour inscrire la manifestation dans la durée. Le fait que des acteurs de la vie politique locale tels que le sénateur Ivan Renar, président de l’ONL, la maire de Lille, le président de la région s’engagent avec autant de conviction autour de cette manifestation est très incitatif pour une entreprise telle que la nôtre.
A. C. : Il y a aussi tout simplement les qualités artistiques et humaines de Jean-Claude Casadesus, et la complicité des relations que nous avons d’emblée tissées avec son équipe. Et puis, des envies communes autour d’artistes, des discussions sur la façon de mettre en avant différents aspects du Festival, comme la programmation accueillie au Théâtre du Nord.
Quelques mots pour conclure sur votre collaboration avec ce partenaire de très longue date qu’est le Festival Piano aux Jacobins de Toulouse, dont la 32e édition se déroulera du 2 au 28 septembre…
M. T. M. : Dans la vie d’une fondation il est des partenariats emblématiques d’une démarche, d’une fidélité, d’une inscription dans la durée. C’est le cas de Piano aux Jacobins, comme de Lille Piano(s) Festival ou des Chemins du baroque : une capacité à se renouveler qui donne envie d’aller toujours plus loin ; une relation jamais routinière qui provoque une envie constante de partager.
Propos recueillis par Alain Cochard, le 11 mai 2011
(1) - 20 % en moyenne par rapport à 2008 sur l’ensemble des champs d’intervention, la baisse ayant été beaucoup plus importante dans le domaine culturel où les chiffres ont été divisés par trois (Enquête Admical /CSA)
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