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Nathalie Stutzmann dirige l’Orchestre de Chambre de Paris - A grandes guides - Compte-rendu
Une sorte de boulimie musicale a habité l’étrange concert qu’a mené Nathalie Stutzmann avec l’Orchestre de Chambre de Paris, aussi dérouté que le public par le style de programme qu’elle lui a proposé ou imposé : festin ou indigestion, l’écoute variait et l’on s’interrogeait, un peu interloqué. Dans ce genre de concert avec soliste lyrique, l’usage, contestable d’ailleurs, est de faire alterner pièce d’orchestre avec quelques grands airs, ce qui ne permet pas toujours aux concerts de prendre tournure. Ici, que l’on imagine : en première partie de ce concert résolument français, la Sinfonietta de Poulenc, si rare et si étrangère au répertoire lyrique qui devait suivre. La pièce est belle, facile, allurée, habitée du souvenir des Biches et totalement loufoque, mais avec ce chic qui fait que Poulenc ne dérange jamais son bourgeois. Stutzmann l’a dirigée avec une sorte de frénésie tapageuse qui donnait à ce morceau joliment inoffensif des airs de manifeste révolutionnaire. Surprenant mais accrocheur.
Ensuite, place aux maîtres du XIXe siècle. On attendait le soliste, la jeune basse Alexander Vinogradov, il tarda à paraître tant Nathalie Stutzmann l’avait mis, dirait-on, en situation. En effet, il est rare d’entendre au concert des extraits de Carmen où la part belle est faite aux chœurs : Ouverture d’abord, puis « La cloche a sonné », et « Que se passe-t-il donc là-bas », puis entracte de l’Acte I. Le stress s’emparait de l’orchestre cravaché avec fureur, le Jeune Chœur de Paris, plutôt bon sauf dans ses interventions solistes, rentrait totalement dans l’œuvre. On finissait par attendre quelque grand air de l’héroïne et pourquoi pas que la maîtresse de maison, qui a quelques moyens vocaux, n’allège son registre de contralto pour s’y lancer, tant l’opéra suivait son cours ! Mais non, voici que Les Pêcheurs de Perles, avec « Sur la grève » en feu ont relayé Carmen : Bizet certes, mais si différent comme climat que l’écoute après avoir été chauffée à blanc, retombait bizarrement dans une grâce moelleuse.
Alors est apparu le soliste, enchaînant tout ce que le XIXe siècle avait pu produire de diableries pour la voix de basse : à savoir cinq airs de Méphisto répartis entre le Faust de Gounod et La Damnation de Faust de Berlioz. Là encore, un autre choc : dans un physique plutôt fluet, une voix énorme, vrombissante comme un moteur, s’est élevée, provoquant un effet de choc presque risible. Le reste n’a pas suivi, pas d’articulation, une émission engorgée, pâteuse, une diction très approximative et surtout peu de musicalité, ce que l’on pardonne le moins. Le chanteur doit sans doute faire illusion dans le répertoire russe, mais dans le français, on préfère l’oublier, malgré son pedigree flatteur, en attendant qu’il affine son jeu.
Puis, revoilà Carmen, et encore ses chœurs, « A deux cuartos », « Voici la quadrille », encore dans un état d’urgence, avant que le soliste ne revienne placer ses banderilles dans un dernier air, « Votre toast, je peux vous le rendre ».
De cet étonnant et copieux défilé on retient surtout que l’Orchestre de Chambre de Paris apparaît métamorphosé, assoupli, et capable de répondre brillamment à une direction occasionnelle aussi impérieuse que celle de Nathalie Stutzmann, grâce au travail minutieux auquel le plie son nouveau chef, Douglas Boyd, avec lequel il est en osmose totale. Très bel instrument désormais. Quant à Stutzmann, personnage haut en couleurs, à la voix contestée autant que séduisante, elle est désormais totalement engagée dans sa nouvelle carrière de chef, que l’on peut saluer désormais d’un mot : elle a vraiment trouvé sa voie(x). Voilà un vrai, un grand chef d’orchestre, précis, totalement engagé, habité par une folie rythmique irrésistible. Il lui faut assurément un grand orchestre symphonique pour donner sa pleine mesure.
Jacqueline Thuilleux
Site officiel de Nathalie Stutzmann : nathaliestutzmann.com/fr/
Photo © Simon Fowler
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