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Nixon in China au Châtelet - Au-delà de l’Histoire - Compte-rendu
Beaucoup d’opéras ont vu le jour en France depuis Les Dialogues des Carmélites, mais on n’en voit guère qui, après ce dernier, soit parvenu à conquérir un succès international durable. C’est sans doute pour cela que l’on prend parfois d’un peu haut chez nous une œuvre telle que Nixon in China et que… vingt-trois ans (!) se seront écoulés entre la création française de l’opéra de John Adams à Bobigny et son retour sur une scène hexagonale. Bref, cela lui aura laissé le temps de s’inscrire parmi les partitions lyriques les plus populaires de la fin du XXe siècle(1).
Dès le chœur introductif, l’élasticité que le metteur en scène et chorégraphe Chen Shi-Zheng imprime aux mouvements des soldats crée une parfaite symbiose, jamais remise en cause tout au long du spectacle, entre la dimension visuelle et l’hypnotique continuum musical d’une partition qui, d’entrée de jeu, vous happe et ne vous lâche plus. Techniques d’écriture propres à la musique minimaliste ou répétitive américaine ? Sans aucun doute, mais il ne s’agit là que du matériau. Par la place, le rôle moteur que Adams confère à un orchestre qui porte, éclaire et se fait l’écho de l’action et des états d’âmes des personnages, c’est plus dans une filiation avec l’idée que Wagner se faisait du drame musical qu’il faut placer la partition de l’Américain.
Le travail de Chen Shi-Zhen et de Shilpa Gupta (décors) fait parfaitement corps avec le profil de l’oeuvre et l’évolution des protagonistes, du premier acte très « protocolaire » au fantasmagorique troisième volet où, sous l’emprise des souvenirs et des doutes, les personnages se livrent. Rien d’outré, de caricatural de la part de Chen Shi-Zheng dans son approche de l’ouvrage d’Adams et Goodman, mais une sobre et intelligente exploitation de ses richesses et de ses sous-entendus, accompagnée de belles trouvailles visuelles ; une volonté de dépasser la simple représentation d’un moment d’histoire.
La réussite tient évidemment aussi à des chanteurs qui, par-delà l’incarnation qu’ils offrent chacun, possèdent… le physique de l’emploi !
Formidable comédien, Franco Pomponi assume totalement l’inconsistance que le livret d’Alice Goodman cultive chez Nixon. Certes vocalement un peu tendu à l'Acte I, le Mao d’Alfred Kim n’emporte pas moins l’adhésion par son autorité, avant de révéler un visage bien plus secret du Grand Timonier au III. June Anderson campe une Pat Nixon idéale entre la fonction décorative de «femme de» et des moments de profonde émotion (le début du II).
Portrait peu flatteur que celui que Nixon in China trace d’Henry Kissinger : sans verser dans l’excès, Peter Sidhom assume pleinement les travers du rôle, jusque dans la violence et la vulgarité concupiscente de l’Acte II. Sumi Jo semble avoir trempé ses aigus dans le fanatisme du Petit livre rouge et campe une étonnante Jiang Qing (Madame Mao). Et avec quel tact enfin Kung Chun Kim (Zhou Enlai) exploite-t-il les ambiguïtés et les doutes de son personnage.
Sophie Leleu, Alexandra Sherman et Rebecca de Pont Davies sont trois secrétaires de Mao impeccables de dévouement.
Au pupitre, l’Australien Alexander Briger (qu’on espère revoir bientôt en France !) réalise un travail remarquable avec les musiciens du désormais Orchestre de chambre de Paris. En belle forme lors de cette deuxième représentation, l’ex-EOP possède à la fois la précision, les couleurs, la mobilité dans les changements d’atmosphères. Ainsi porté, l’ouvrage s’écoule sans une chute tension et la soirée d’achève laissant l’auditeur sous l’emprise d’un spectacle remarquablement abouti.
Alain Cochard
(1) Nixon in China a été créé en 1987 à Houston
Adams : Nixon in China – Paris, Théâtre du Châtelet, 12 avril, prochaines représentations les 16 et 18 avril 2012
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Photo : Marie-Noëlle Robert-Théâtre du Châtelet - Mao Zedong (Alfred Kim), Nixon (Franco Pomponi)
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