Journal
Normandie par les Frivolités Parisiennes au Théâtre Impérial de Compiègne – Joyeuse traversée – Compte-rendu
Musicologue et metteur en scène, formidable connaisseur du répertoire de l’opérette et de la comédie musicale, Christophe Mirambeau rêvait depuis très longtemps de monter Normandie, opérette en deux actes, créée avec succès le 3 octobre 1936 aux Bouffes-Parisiens. Avec la rigueur qu’on lui sait, il a d’abord entrepris un patient travail de reconstitution du conducteur avant de se mettre au travail avec les Frivolités Parisiennes, compagnie qu’il connaît bien pour avoir déjà monté avec elle deux partitions de Maurice Yvain : Yes ! et Gosse de riche – deux pleines réussites ! (1) (2)
L’entre-deux-guerres fut une époque faste pour les transatlantiques ; c’est à bord du célèbre paquebot lancé en 1932 que le librettiste Henry Decoin (qui collabore avec le parolier André Hornez) situe l’action de Normandie. Jim, Ralph et John, trois milliardaires américains – dont l’un vient d’acheter une église auvergnate ! – sont de retour vers New-York, accompagnés de leurs trois filles. A bord, trois jeunes hommes en pincent chacun pour l’une d’entre elles : Roland, passager clandestin, a jeté son dévolu sur Betty, Georges, prof de culture physique (en charge des kilos superflus de Ralph), sur Margaret, et P’tit Louis, le radiotélégraphiste, sur Barbara. Ajoutez à ce joli monde, une aventurière (Catherine), un barman (Victor), un pasteur, dont les frasques de jeunesse ont laissé quelques souvenirs à Paris ..., et sa mère, secouez : vous obtenez la trame d’un argument plein de rebondissements. Nos trois amoureux ne sont pas d’une condition sociale leur permettant de prétendre à la main de leur belle, mais – happy end – ils l’obtiendront finalement ! Entre temps, la joyeuse traversée nous aura valu un peu plus de deux heures bien équilibrées entre les dialogues et une musique irrésistible d’entrain et de rythme (avec à l’acte II, le célèbre « Tout ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine » et ses croustillants couplets).
Christophe Mirambeau, qui aime la partition autant qu’il la comprend avec la culture historique requise (ne comptez pas sur lui pour les lourdes plaisanteries-références à l’actualité), signe une mise en scène impeccablement réglée où la simplicité le dispute à l’efficacité. Les musiciens, en tenue de marin, étant installés sur des gradins, partagés par un escalier, en fond de scène, le décor se réduit au mot NORMANDIE en grandes lettres blanches (sur roulettes) qui, déplacées par les chanteurs tout au long du spectacle, permettent de composer des mots en rapport avec l’action (MER, MARI, etc.) et d’imprimer un mouvement incessant (accompagné des belles lumières de Fouad Souaker) tandis que, projetée au-dessus de l’orchestre, une animation vidéo (de Bernard Martinez et Casilda Desazars, cette dernière signant aussi des costumes parfaitement en situation) apporte poésie et humour sans aucunement encombrer la champ visuel du spectateur.
La présence de l’orchestre sur le plateau a imposé de sonoriser les voix : on s’y accoutume vite tant l’humeur souriante et le peps du spectacle vous happent, sans le moindre temps mort. Pas de risque de ce côté il est vrai avec les chanteurs comédiens réunis ici, à commencer par le savoureux trio de milliardaires formé de Jeff Broussoux (Jim), Denis Mignien (Ralph) et Richard Delestre (John). On ne résiste pas moins au charme et au piquant de leurs filles, interprétées par Mylène Bourbeau (Betty), Caroline Michel (Margaret) et Marion Tassou (Barbara), ni à l’élan de leurs prétendants : Guillaume Paire (Roland), Pierre Babolat (Georges) et Guillaume Beaujolais (P’tit Louis). Plateau parfait jusqu’au bout, que complètent Sandrine Buendia (Catherine), aventurière pleine de chien, Halidou Nombre, tonique barman, Guillaume Durand, fringant pasteur à la vocation idéalement fragile, et Caroline Roëlands, pittoresque mère du précédent – et de surcroît chorégraphe inventive ! Et n’oublions pas le frais quatuor de jeunes filles formé par Amélie Tatti, Tiphaine Chevalier, Servane Brochard et Olivia Pfender.
Avec Patrick Laviosa (chef de chant et directeur musical de la production) au piano, les musiciens des Frivolités Parisiennes montrent une fois de plus leur amour du répertoire ici abordé, avec un fini instrumental irréprochable et un tonus contagieux. L’ « actualisation des codes » de l’opéra-comique et de l’opérette est l’un des objectifs principaux de la compagnie dirigée par Mathieu Franot et Benjamin El Arbi : il est pleinement atteint.
Espérons que Normandie – qui, après Compiègne, fait une courte escale parisienne de deux dates en version allégée, adaptée au cabaret la Nouvelle Eve – sera vite de retour sur des scènes où elle pourra retrouver ses dimensions originelles. Une reprise et une tournée s’imposent pour un travail aussi exemplaire de drôlerie, de finesse, de tact aussi.
Alain Cochard
(1) www.concertclassic.com/article/yes-de-maurice-yvain-au-cafe-de-la-danse-oui-eperdument-compte-rendu
(2) www.concertclassic.com/article/gosse-de-riche-de-maurice-yvain-au-theatre-trevise-la-fille-de-lamant-de-la-maitresse-ou-le
Misraki : Normandie – Compiègne, Théâtre Impérial, 7 février : prochaines dates : les 11 et 12 février 2019 à la Nouvelle Eve (75009)// www.lanouvelleeveparis.com/invites/#
Photo © Casilda Desazars
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