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​ Notre-Dame de Paris de Roland Petit par le Ballet de l’Opéra de Paris – Vol musclé au dessus d’un nid de fous – Compte-rendu

 En 1831, Hugo publie Notre Dame de Paris, 1482.  En 1965, Roland Petit crée son premier ballet pour l’Opéra de Paris, cette Notre-Dame. En 2011, il décède. En 2019 la flèche brûle : quelques dates clefs dans la saga de cette histoire mythique, sur laquelle tant d’artistes ont rêvé et que le public reçoit encore avec une émotivité à vif, qu’exalta notamment le film célèbre avec Gina Lollobrigida, Alain Cuny et Anthony Quinn. D’autres ballets, inspirés par le roman de Victor Hugo, ont aussi vu le jour avant celui du créateur branché qu’était Roland Petit.
 
Et c’est donc en mémoire de ce chorégraphe prolifique, dont l’Opéra a gardé le plus grand chef d’œuvre, L’Arlésienne, que se redonne, captée avec les meilleurs moyens en l’absence de vrai public, cette fresque vieillie, mais qui jalonne un moment du style Petit, lequel sut varier sa danse, tout en gardant une marque incontestable. Dix années donc depuis qu’il a quitté ses amours chorégraphiques, mais que ses œuvres continuent de vivre, avec un inégal bonheur.
 

Stéphane Bullion (Quasimodo) © Julien Benhamou - Onp

Pour cette Notre Dame de Paris, après l’érotisme de Carmen,  qui dès 1949, le fit connaître du monde entier, ou le charme poétique des Forains, du Loup et de Deuil en 24 heures, Petit donne dans un style graphique et sec, marqué par ces secousses qui l’ont souvent caractérisé, ces saccades qui animent les danseurs et ne débouchent pas sur la transe mais plutôt sur les rythmes d’un marteau piqueur. Gestes stéréotypés, mains largement écartées, répétitions violentes des attitudes, c’est à un bal des fous qu’il nous convie, entrecoupé de scènes demeurées dans le patrimoine du ballet, notamment lorsque Quasimodo s’accroche à la grande cloche, ou qu’il transporte le cadavre d’Esmeralda vers les cimes de la cathédrale, en la balançant au son du lourd battant.
 

Amandine Albisson (Esmeralda) © Julien Benhamou - OnP
 
On s’est lassé de cette écriture mécanique, et aujourd’hui ce graphisme paraît démodé, tant il est typé de son temps, même si Petit, tel un Diaghilev avant lui, ou un Lifar, savait s’entourer des plus brillantes personnalités artistiques de l’époque : un Saint Laurent par exemple, qui lui brossa quelques tuniques aux formes tranchées, dont le costume d’Esmeralda, demeuré célèbre, et usa et abusa de couleurs criardes pour provoquer le spectateur, un René Allio qui esquissa une silhouette de la cathédrale comme un gribouillis de lignes très parlantes, un Maurice Jarre bon technicien comme à l’accoutumée, avec une musique solidement charpentée et rythmée, relevée d’une idée de génie, ce son de tambour de basque qui accompagne comme un leitmotiv la venue de la légère et piquante Esmeralda et martèle le crâne de Frollo, affolé de désir et de Quasimodo, envoûté.
 

Mathias Heymann (Frollo) © Julien Benhamou - OnP

Bref, on regarde avec intérêt et curiosité, découvrant ou redécouvrant ce moment de l’histoire du ballet, qu’il est bon de ne pas ignorer, pour mieux en juger l’évolution. Et l’on apprécie l’engagement de l’orchestre, dirigé vigoureusement par Jean-François Verdier, et des danseurs, heureux de pouvoir enfin se déchaîner, avec un corps de ballet vaillant et des solistes plus élégants que véritablement émouvants, mais de très belle tenue : Amandine Albisson, si elle n’a pas la sensualité d’une Eleonora Abbagnato, qui reprit le rôle en 2014, après ses illustres devancières, comme Claire Motte, la créatrice du rôle, séduit par sa superbe silhouette et la netteté de ses placés, Florian Magnenet a la hauteur qu’il faut pour le rôle peu convainquant de Phébus, le stupide et arrogant chevalier, Matthieu Heymann, long comme une corde de pendu, dispense dans son costume noir de Frollo la retenue ou les affres que fait alterner ce rôle ravagé. Quant à Stéphane Bullion, il n’est pas le premier beau gosse de l’opéra à s’accrocher la bosse de Quasimodo, rôle créé par Petit lui-même, après le monstre sacré Cyril Atanassoff, le lumineux Patrick Dupond qui sut s’y faire torturé et l’impressionnant Nicolas Le Riche, à la gestique si carrée, si puissamment expressive. Tous ont su faire oublier leur beauté pour donner le meilleur de leur potentiel expressif et Stéphane Bullion ne faiblit pas face à ce pari difficile qui impose des gestes cassés. Etre laid, enfin, et séduire avec sa seule âme, le rêve ...
 

Jean-François Verdier © DR

Vol musclé au dessus d’un nid de fous, plus impressionnante qu’émouvante, telle apparaît aujourd’hui cette Notre Dame de Paris, dont la démence ne nous parle plus autant. Comme on aimerait qu’un Angelin Preljocaj, ou un Jean-Christophe Maillot, qui savent si bien marier les grilles de lectures de leur temps tout en gardant solidement les piliers du temple académique, se saisissent de ce drame et fassent gambader des fous atteints du nouveau virus autour de la flèche brûlée, en agitant bien évidemment une marotte, en forme de boule à pointes qui sonneraient comme les clochettes des lépreux, au milieu de Diafoirus télévisés.
 
Jacqueline Thuilleux

Notre-Dame de Paris (chor. Roland Petit / Mus. M . Jarre) – Paris, Opéra Bastille ; capté les 30 mars et 1er avril 2021.  Le spectacle sera retransmis ultérieurement sur Culture box et France télévisions, ainsi que dans les cinémas UGC et dans des cinémas indépendants en France et dans le monde entier.
 
Photo © 

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