Journal
« Orgues en Fête » à la Philharmonie de Paris – De Mozart à Wagner – Compte-rendu
Non pas mouvement d'humeur mais simple question, que tant de mélomanes se posent : quand on dispose d'un orgue aussi exceptionnel que le Rieger de la Grande Salle Pierre Boulez, dans une acoustique favorable, pourquoi les occasions de l'entendre sont-elles aussi comptées ? Un tel monument pour une programmation peau de chagrin, la disproportion est difficile à concevoir.
Hervé Niquet © Henri Buffeteau
Toujours est-il qu'un Week-end "Orgues en Fête" était proposé les 18 et 19 février, unique occasion de la saison d'entendre le Rieger en récital. Avec des animations originales et des concerts pour certains plus convenus. Ainsi le samedi à 15 heures l'Orchestre Pasdeloup proposait un beau programme, indéniablement, avec la sempiternelle Symphonie « avec orgue » de Saint-Saëns. Chef-d'œuvre absolu, là n'est pas la question, mais programmée à satiété, là comme ailleurs (et quand ce n'est pas elle, c’est le Concerto de Poulenc – autre chef-d'œuvre, nul doute), sans aucun effort d'imagination alors que le répertoire pour orgue et orchestre est vaste. Et le public, passionné, parfaitement capable de tenter l'aventure d'un autre répertoire. Symphonie no 3 qui, au passage, sera de nouveau à l'affiche le 2 avril, avec l'Orchestre des Champs-Élysées et Louis Langrée, Bertrand Chamayou pour le 5e Concerto « L’Égyptien » et Vincent Warnier aux claviers du Rieger (1).
© Mirou
Le samedi à 16 heures – impossible d'assister au concert précédent et à celui-ci, de même le lendemain avec deux concerts au même moment, dont les « Concertos pour orgue » de Bach par Les Muffatti et Bart Jacobs admirés à Toulouse les Orgues (2) –, Hervé Niquet, Le Concert Spirituel et François Saint-Yves proposaient dans la grande salle de la Cité de la Musique un revigorant et lumineux programme consacré à deux Messes brèves de Mozart, composées durant l'été 1774. Le contexte d'époque, par l'association d'autres maîtres, était brillamment restitué, comme si l'on assistait à un office dans l'immense cathédrale de Salzbourg – et l'on s'y croyait, l'acoustique de la salle en ellipse étant généreuse, cependant que l'orgue positif, incisif et chantant sous les doigts de François Saint-Yves, portait à merveille jusqu'à la vaste tribune en fond de salle : impressionnant.
Présenté par Hervé Niquet avec autant d'esprit et d'inventivité que la musique ensuite entendue en recèle, le programme enchaînait par sections les Messes K 192 et 194, rehaussées des Sonates d'église no 15 et 8 de Mozart ainsi que de pages des frères Haydn. Joseph : offertoire, motet, merveilleux mouvement du Concerto pour orgue n°2 et Te Deum n°1 pour couronner ce programme festif, et Michael : motet, Ave verum corpus. Trois natures singulières pour une diversité affirmée au sein d'une même esthétique temporelle. Splendeur et acuité des cordes seules autant que des seize voix du chœur, préparé par Frédéric Pineau : ce concert fut un bain de jouvence à profusion, une lumière post-baroque, d'un optimisme peu porté vers les mystères célébrés, irradiant cette musique – jusqu'à ce que, soudainement, fasse irruption avec l'Agnus Dei de la Messe K 194 une dimension tragique d'une incroyable puissance.
© Mirou
En regard de l'Ave verum corpus de Michael Haydn retentit celui de Mozart, à la manière « historiquement informée » propre au Concert Spirituel : tel qu'en fait on ne le connaît guère – sans insister, assez vif, courte prière. Puis Hervé Niquet, le concert étant « participatif », expliqua que Gounod avait concocté, pour l'immense Albert Hall de Londres, une version pour chœur pléthorique. Plus modestement mais avec quelle présence !, sur les deux côtés de la salle avaient pris place quelque quatre-vingt choristes amateurs ayant participé aux deux répétitions préalables avec Frédéric Pineau (on songeait à l'écoute qu'ils devaient chanter régulièrement, et à un haut niveau). Tous, sur scène et dans la salle, reprirent en bis, cette fois façon Gounod : tel qu'en fait on le connaît, l'Ave verum de Mozart, avec ampleur et beaucoup d'émotion, pour le plus grand bonheur d'un public édifié par ces deux différentes approches « historiques », et conquis.
© Mirou
En soirée, Olivier Latry fit sonner le Rieger, admirablement, on s'en doute ! L'idée serait que seul l'organiste de Notre-Dame peut remplir la Salle Pierre Boulez (et là, on doute), avec pour conséquence que nul autre récitaliste n'est plus guère convié à se produire à la Philharmonie, alors que preuve à l'appui le public répond présent dès que le Rieger est au programme. Celui-ci était original, saugrenu ont pensé certains, à tort, pour sa seconde partie. Wagner dominait la première, plaçant d'emblée la barre très haut : Ouverture du Vaisseau fantôme dans la transcription d'Edwin Lemare (1865-1934), d'une virtuosité mettant en exergue toutes les possibilités orchestrales du Rieger. Ou comment subjuguer son public dès la première œuvre, très musicalement équilibrée par la suivante : émouvante Prière de Rienzi transcrite par Latry lui-même, faisant appel à toute la subtilité dynamique dont l'orgue et ses diverses boîtes expressives sont capables, jusqu'aux jalousies générales faisant complètement disparaître l'instrument. Final grandiose avec le Prélude des Maîtres chanteurs, de nouveau par Lemare, éclatant de cuivres exubérants et sonores.
La seconde partie fut entièrement consacrée à Widor, loin des voûtes de Saint-Sulpice, avec d'une certaine manière l'obligation d'être plus symphonique à travers la forme, qu'organistique par la projection des timbres dans l'espace. Chacun des cinq mouvements de la Cinquième Symphonie fut un modèle de concentration et de rigueur stylistique, sur un tempo véritablement giusto adapté à l'acoustique de la Salle – nul mieux qu'Olivier Latry, qui inaugure tant d'orgues de par le monde, ne connaît aussi bien cette problématique très spécifique. Et jusqu'à la Toccata, dont le staccato obstiné est censé stimuler la compréhension du texte sous une voûte immense comme à Saint-Sulpice, et qu'il convient d'adapter très précisément aux conditions du lieu – magistral. En bis, « pour l'anniversaire d'un être cher » né un 18 février, improvisation sur le thème de rigueur, sans cesse habilement suggéré, jamais banalement énoncé, avec élégance et faconde. Puis de Marcel Dupré Cortège et Litanie (qui ouvrait le récital précédent d'Olivier Latry à la Philharmonie, le 17 avril 2022), page que Dupré transcrivit pour orgue à l'occasion d'un concert en Amérique, puis pour orgue et orchestre pour le Wanamaker de Philadelphie : c'est peu dire que cela sonne admirablement sur l'orgue Rieger, en salle !
Michel Roubinet
Paris, Philharmonie (Salle des concerts et Grand Salle Pierre Boulez), 18 février 2023
deneb.philharmoniedeparis.fr/uploads/documents/NPCP-ORGUES-19-02-23.pdf?_ga=2.261314061.1251807796.1677571975-2088212195.1677571975
(1) philharmoniedeparis.fr/fr/activite/concert-symphonique/24374-orchestre-des-champs-elysees-louis-langree
(2) www.concertclassic.com/article/festival-toulouse-les-orgues-2021-le-rendez-vous-de-la-planete-orgue-compte-rendu
Photo © Deyan Parouchev
Derniers articles
-
25 Novembre 2024François LESUEUR
-
25 Novembre 2024Jean-Guillaume LEBRUN
-
25 Novembre 2024Archives du Siècle Romantique