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Orphée aux enfers par Operazuid à La Haye – C’est Hadès qu’on adore – Compte-rendu
Depuis le spectacle qui lança le tandem Pelly-Minkowski, les productions d’Orphée aux enfers ne se bousculent pas en France, là où les versions de La Belle Hélène continuent à se multiplier. Cela tient peut-être en partie à l’existence de plusieurs versions de la partition, mais sans doute aussi en grande partie au livret, dont la charge satirique paraît bien émoussée aujourd’hui. Face à ce désormais problématique Orphée, il convient de faire des choix, tant musicaux que théâtraux, et c’est avec courage qu’Operazuid s’y est attaqué, capitalisant sur l’énorme succès qu’avait été, il y a quelques années, le Fantasio confié à la même équipe : le chef et le metteur en scène sont les mêmes, et la plupart des chanteurs sont de retour.
Pourtant, c’est surtout au troisième acte que l’on retrouve l’esprit qui animait cette mémorable production de Fantasio : après la pastorale du premier et l’Olympe du second, le royaume d’Hadès renoue avec cette fantaisie un brin iconoclaste qui avait séduit en 2019. Les enfers sont ici, de manière littérale, l’envers du décor du séjour des dieux, là où statues et colonnes pseudo-antiques sont retournées, profanées, Eurydice étant enfermée sous ces gradins où siégeaient les dieux peu auparavant. Les enfers, c’est le désordre érigé en principe, alors que l’Olympe s’efforçait tant bien que mal de faire croire à un ordre de pure façade. La mise en scène de Benjamin Prins peut s’y déchaîner plus librement, même si la réécriture des dialogues se remarque avant même le lever du rideau, l’Opinion Publique étant ici une spectatrice qui, assise au premier rang du parterre, se met à commenter bruyamment l’action. Mais au troisième acte, de manière délicieusement absurde, la dame devient Bacchus pour faire apparaître Eurydice déguisée (on se demande un peu ce qu’une bacchante venait faire aux enfers, selon les librettistes). Et le texte est modifié pour tenter de restituer au principal personnage féminin un semblant de maîtrise de son destin : ce n’est plus Jupiter qui vainc Pluton en déclarant « Non, car j’en fais une bacchante », mais l’héroïne elle-même qui proclame « Non, car je reste une bacchante ». Et tant qu’à faire, Orphée révèle qu’il est gay, tandis que Junon semble avoir trouvé l’âme sœur en la personne d’une diablesse nommée Belzebuth…
© Joost Milde
On salue aussi la chorégraphie de Willy Laury, avec ses hilarants moutons qui se transforment vite en diables SM, tutu noir et harnais de cuir, tandis qu’au dernier acte, le « galop infernal » renoue avec son étymologie, les cinq danseurs miment le galop d’un cheval, imité par tous les artistes présents sur le plateau. Les costumes de Marrit van der Burgt contribuent aussi à la fantaisie de l’ensemble, avec ces perruques invraisemblables pour les dieux et les déesses, ou la tenue tricéphale du danseur incarnant Cerbère.
Dans la fosse, Enrico Delamboye s’efforce de conférer une unité à la « version mixte » élaborée par Jean-Christophe Keck à partir des éditions de 1858 et de 1874, dont les intermèdes de ballet offrent aux instrumentistes du Philharmonie zuidnederland plusieurs occasions de briller à découvert. Les tempos sont vifs, notamment pour le duo de la Mouche, mais on regrette certains choix qui aboutissent à confier divers passages à des tessitures différentes de celles prévues, surtout l’idée de faire de l’Opinion Publique un ténor plutôt qu’une mezzo-soprano, dans un opéra-bouffe où les ténors sont déjà assez nombreux. Malgré sa drôlerie – même s’il pousse un peu le côté Zaza Napoli –, Thomas Morris ne peut, dans le duo qui conclut le premier acte, fournir une réplique adéquate à Mathys Lagier, Orphée sonore ici présenté comme une sorte de Paganini déjanté. Olivier Hernandez en John Styx devient un technicien de plateau qui, le temps de son air, se métamorphose en sosie d’Offenbach. Et si le troisième acte ravit tant, c’est peut-être aussi parce que l’on y retrouve enfin Amel Brahim-Djelloul, Eurydice au timbre charnu, dont chacun des airs est un enchantement (il serait temps que les théâtres français songe, pour ce répertoire, à celle que le Châtelet avait jadis engagée dans le rôle-titre de Véronique). Autour de ces quatre francophones – auxquels on peut ajouter la pulpeuse Vénus de Marina Ruiz – gravitent des chanteurs néerlandais plus ou moins à l’aise dans notre langue.
© Joost Milde
Vu en Monostatos à Nancy en décembre 2021, Mark Omvlee est un Pluton sorti d’un univers de heroic fantasy ; s’il n’a pas les aigus suaves d’Aristée, il s’impose mieux dans son personnage de méchant. Jeroen de Vaal semble un peu piégé par le chant syllabique de Mercure, et Anna Emelianova n’est pas très intelligible dans l’air de Diane, alors qu’elle avait été une superbe Elsbeth dans Fantasio. Face à la Junon autoritaire de la mezzo Francis van Broekhuizen (qui récupère l’air des baisers prévu pour Cupidon), Roger Smeets campe un Jupiter veule à souhait.
Laurent Bury
Photo © Joost Milde
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