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Ouverture de saison à Notre-Dame de Paris – le Requiem de Mozart pour les « adieux » de Lionel Sow – Compte-rendu
Quelques jours après l'inauguration du grand orgue (1) s'ouvrait, sur un double événement, la saison proprement dite de Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris. Jamais donné dans le cadre de la structure musicale actuelle de la cathédrale, donc depuis au moins une vingtaine d'années, le Requiem de Mozart était au programme deux soirs consécutifs, sous la direction de Lionel Sow faisant ses « adieux » à Notre-Dame – où il reviendra certainement en tant que chef invité. Violoniste de formation, entré en 2002 à la cathédrale comme assistant de Nicole Corti pour le chœur d'enfants, il avait pris quatre ans plus tard la tête de l'ensemble de la Maîtrise Notre-Dame de Paris, dont les trois composantes participaient au concert du 24, devenant par la suite également directeur artistique (2). Nommé en 2011 chef du Chœur de l'Orchestre de Paris, il quitte la Maîtrise pour se concentrer sur ce poste prestigieux. Le programme Mozart de cette ouverture de saison fit l'effet d'un condensé magistralement explicite de son action musicale et pédagogique à Notre-Dame.
Haut lieu de formation, la cathédrale a noué divers partenariats, notamment avec le Conservatoire de Paris, dont Musique Sacrée a permis au fil des saisons d'apprécier les résultats. Pour Mozart, c'est à une remarquable formation londonienne que la Maîtrise s'est associée, le Southbank Sinfonia, académie d'orchestre offrant à de jeunes instrumentistes diplômés, et boursiers, un programme de neuf mois alliant concerts et développement professionnel, le but étant de leur permettre de faire la jonction entre fin d'études et monde professionnel. Même démarche pour les quatre solistes, puisque tous participent actuellement au programme de formation-développement de l'Atelier lyrique de l'Opéra National de Paris : la soprano roumaine Andreea Soare, voix ample et lumineuse, sous-tendue d'un vibrato (de voix lyrique saine) contrastant avec ce que l'on entend le plus souvent dans le répertoire ancien ou classique ; la mezzo polonaise Agatha Schmidt, d'une grande et souple égalité de timbre, bien que d'une moindre projection ; le ténor ukrainien Oleksiy Palchykov, à la vaillance radieuse et assumée ; enfin la basse ukrainienne Andriy Gnatiuk, d'un engagement plus concentré, belle et sobre présence vocale.
On perçut aussitôt un fructueux et sensible contraste entre les solistes et le Chœur d'adultes de la Maîtrise, l'univers musical des premiers relevant indéniablement de l'opéra – excellent positionnement dans la mesure où le Requiem de Mozart sembla plus que jamais une œuvre conférant la part du lion au chœur, les interventions solistes, vitales mais drastiquement circonscrites, ayant dès lors impérativement besoin d'être confiées à des voix capables, à brûle-pourpoint, d'extérioriser avec éloquence des sections en définitive brèves ; le second affirmant lui aussi une incontestable vaillance, mais sans jamais perdre de vue un contexte spirituel tenant au lieu autant qu'à l'œuvre : la grandeur sans emphase, l'éclat sans la clameur, une cohésion et une discipline témoignant d'une immersion dans la musique parfaitement accomplie, sous la férule d'un Lionel Sow dirigeant le Requiem par cœur…
Tant de beauté dans un monde d'une telle férocité aurait presque semblé devoir mettre en porte-à-faux une satisfaction musicale prenant comme prétexte un requiem déconnecté de son sens premier. Monseigneur Jacquin, recteur de la cathédrale, refocalisa à juste titre l'attention sur la signification de l'œuvre – à commencer pour Mozart lui-même, serait-on tenté de dire –, alors que l'on venait d'apprendre la fin tragique de l'otage français Hervé Gourdel, également la disparition de Christopher Hogwood. Nul doute que ce sens tangible et cette résonance profondément humaine de la messe des morts, indépendamment de toute confession, fut des plus sensibles en ce 24 septembre de tristesse, Lionel Sow se trouvant pour ainsi dire conforté par les événements du monde extérieur dans la mise en œuvre d'une approche faite d'élévation, d'intensité et de distance, bien que, cela va de soi, sans renoncer à une splendeur maîtrisée et intériorisée, toute d'acuité et d'énergie contrôlée, sur des tempos parfois d'une farouche audace.
Très belle idée que de faire commencer le programme par le motet Misericordias domini K. 222 (1775), suivi d'un Ave verum K. 618 semblant en suspension sous les voûtes de Notre-Dame, progression dramatique préparant la proclamation du Requiem aeternam. Le concert du 24 eut le privilège de se refermer sur une pièce pour chœur mixte a cappella de Henryk Górecki (1933-2010), Totus tuus [sum Maria] op.60 (1987), d'une « modernité » nullement en rupture avec ce qui avait précédé. Lionel Sow inspira au Chœur d'adultes, ainsi qu'au Jeune Ensemble et au Chœur d'enfants l'ayant rejoint pour cette pièce ultime, des prodiges de vocalité désincarnée, de souffle et de nuances dynamiques inépuisables. Les cathédrales anglaises sont réputées pour leurs choirs multiséculaires, mais les musiciens de l'excellent Southbank Sinfonia, faisant silence pour Górecki, furent à l'évidence saisis par le niveau auquel la Maîtrise s'est élevée sous la conduite de Lionel Sow et qui resplendissait en ce « concert d'adieu ».
La saison 2014-2015 de Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris voit donc le passage de témoin à Henri Chalet, transition longuement travaillée avec le nouveau chef de la Maîtrise – toujours au côté de Sylvain Dieudonné pour le chant grégorien et la musique médiévale. Henri Chalet auquel reviendra notamment la lourde tâche de refermer la saison, le 30 juin 2015, avec une reprise – dans la version pour double chœur et deux orgues créée à Stuttgart en 2005 – de l'oratorio de Thierry Escaich Le Dernier Évangile (1999), entendu à Notre-Dame les 18 et 19 juin 2002, dans sa version avec orchestre et grand-orgue, et enregistré à cette occasion (Hortus 024).
Michel Roubinet
Paris, Cathédrale Notre-Dame, mercredi 24 septembre 2014
(1) Lire le CR du 28 septembre :
www.concertclassic.com/article/inauguration-de-lorgue-restaure-de-notre-dame-de-paris-fallait-il-pour-autant-lagrandir
(2) Lire l'interview de Lionel Sow par Jeanne-Martine Vacher (12 février 2014) :
www.concertclassic.com/article/une-interview-de-lionel-sow-chef-de-choeur-passion-chorale
Sites Internet :
Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr
Lionel Sow – Orchestre de Paris
www.orchestredeparis.com/index.php?option=com_content&view=article&id=586
Southbank Sinfonia
southbanksinfonia.co.uk
Atelier lyrique de l'Opéra National de Paris
https://www.operadeparis.fr/les-artistes/l-atelier-lyrique
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