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Owen Wingrave à Strasbourg - La mort d’un pacifiste - Compte-rendu
On l’oublie, mais c’est à Colmar en 1996 qu’Owen Wingrave connut sa création française - et en français ! - sous la direction de Claude Schnitzler : l’Alsace, terre meurtrie par trois guerres et trois occupations se reconnaît-elle dans l’engagement pacifiste du jeune Owen, cabré contre le destin militaire que lui impose sa famille ? Quoi qu’il en soit, et dans une ville intimement liée au fonctionnement comme à l’idéal européens, le choix de l’Opéra Studio de représenter pour la première fois en France dans sa langue originale l’un des ouvrages les plus injustement délaissés de Britten pourrait passer pour un acte militant.
Comme on avait déjà pu le vérifier en visionnant les deux réalisations vidéographiques reparues en DVD (1), cette œuvre conçue autant pour le théâtre que pour la télévision (son enregistrement sous la direction du compositeur donna lieu à une édition phonographique mais également à un film que la BBC diffusa largement grâce à son réseau international en mars 1971) achoppe sur un écueil majeur : Britten peine tout au long d’un premier acte répétitif, où sa musique tire à la ligne, préoccupé qu’il est de dessiner clairement les caractères de Stephen Coyle, le professeur en art militaire d’Owen, et de Lechmere son ami étudiant qui lui ravira les faveurs de sa promise, Kate. En un mot on assiste à un interminable lever de rideau que même l’arrivée à Paramore, le domaine familial des Wingrave où va se jouer le drame tout entier contenu dans le second acte, ne parvient pas à animer.
Mais dès le la première scène du II, Britten est à nouveau saisi par l’inspiration trouble que l’univers d’Henry James lui avait dictée pour Le Tour d‘écrou seize années auparavant. L’étau familial se reserre, l’omniprésence du souvenir de l’enfant mort qui hante Paramore saisit Wingrave qui y reconnaît son destin. Finalement ce sera Kate elle-même qui poussera Owen à pénétrer dans la chambre de l’enfant sacrifié jadis sur l’autel des vertus guerrières. Owen y sera retrouvé mort.
La mise en scène sobre de Christophe Gayral, le décor minimaliste et les lumières angoissantes d’Eric Soyer, respectent l’esthétique comme le côté pratique typiques des œuvres écrites par Britten pour son English Opera Group. Car même si Owen Wingrave fut créé à Covent Garden son petit orchestre, sa distribution resserrée, la brièveté de son format l’apparentent clairement à l’univers des Paraboles pour l’église ou du Tour d’écrou bien plus qu’au grand opéra façon Midsummer Night’s Dream.
D’une baguette experte David Syrus conduit une partition dont il connaît les moindres secrets : il avait été l’assistant de Stuart Bedford lors de la création. Mieux, il inspire un plateau de jeunes chanteurs issus de l’Opéra Studio, presque tous parfaits. On met juste un bémol à la Miss Wingrave un rien caricaturale – d’emportement vocal plutôt que de jeu – de Mélanie Moussay. Mais tous les autres méritent leurs lauriers à commencer par Lechmere selon Jérémy Duffau, finement dessiné, joué avec art et chanté tout autant par ce ténor décidément à suivre. Autre révélation, Guillaume François dans les trois rôles du Narrateur, de Sir Philip Wingrave et du fantôme, endossés à la création par Peter Pears. De son ténor profond, il se démarque du parlando de Pears pour camper trois personnages contrastés : irascible Philip avec du vinaigre dans l’aigu, narrateur poétique avant tout - son prologue du deuxième acte où un chœur d’enfants en coulisse le rejoint est un modèle – , fantôme implacable. Tout en finesse Laurent Deleuil donne au rôle titre une profondeur psychologique prégnante doublée d’une ligne de chant stylée et expressive.
Magnifique comme à son habitude Sévag Tachdjian met les harmoniques profondes de son baryton moiré au service d’un Spencer Coyle anthologique, qui ne le cède en rien au modèle laissé par John Shirley-Quirk. Et parmi le quatuor féminin, une perle : Sahara Sloan, Mrs Coyle toute de prescience et de tendresse, la seule à avoir vu le drame qui se joue avant tous les autres : on reparlera de cette belle soprano canadienne au timbre d’ivoire, à la ligne toute mozartienne. Ce spectacle parfait et modeste gagnerait à être repris par d’autres théâtres : son dispositif léger, sa troupe valeureuse donne toutes ses chances à un ouvrage rare.
Jean-Charles Hoffelé
(1) Le film tourné par la BBC sous la direction du compositeur, même si il réunit une distribution d’exception (Luxon, Shirley-Quirk, Baker, Harper, Pears) a visuellement mal vieilli (1 DVD Decca). On lui préfère celui tourné d’après la mise en scène de Margaret Williams qui transpose l’action après la seconde guerre mondiale, où Gerald Finley compose un Owen Wingrave meurtri, sous la direction analytique de Kent Nagano (1 DVD Arthaus).
Britten : Owen Wingrave - Strasbourg, Opéra du Rhin, 6 juillet 2013
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Photo : Alain Kaiser
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