Journal

Paris - Compte-rendu : Boris Godounov au Châtelet, Tchernobyl parle aux aliens

Le peuple en haillon se lamente de son apocalypse, en fond de scène le cœur du réacteur de Tchernobyl rougeoie méchamment, prêt à réduire en cendre les spectateurs eux mêmes. Se munir impérativement de lunettes de glacier ! Si vous constatez des dégâts sur votre rétine, n’hésitez pas à écrire au théâtre. Boris lui même n’est pas mieux logé avec sa théorie d’aliens qui clignotent méchamment dés que l’angoisse le prends, et les boyards poussant leurs sarcophages façon Belphégor ! Le must est laissé au finale, lorsque la mort – un alien moins évolué, encore muni de pattes velues – vient ravir l’âme du Tsar.

Vous n’auriez pas tort de rire mais heureusement cette scénographie « n’importenawak » (agrémentée d’éclairages flashy d’un goût exquis) n’arrive pas à nuire à une distribution d’exception qui prouve une fois encore la richesse de la troupe du Mariinski. Evgueny Nikitin, Don Juan remarqué en mai dernier à l’Opéra de Marseille, donne à Boris, du haut de ses trente ans, une simplicité, une humanité souffrante et apaisée à la fois, qui tournent résolument le dos à toute une historique histrionique de l’interprétation du rôle (pour mémoire Nikitin était le Rangoni de la version de 1872 dans l’enregistrement de Gergiev paru chez Philips). Oleg Balachov, ténor cuivré et diction incisive retrouve la grande lignée des Dimitri héroïques, toute entier porté par son rêve ; en deux gestes l’acteur de génie qu’est Vladimir Ognovenko campe un Varlaam plus vrais que nature (et le Missail nasal, percutant de Nikolaï Gassiev l’épaule à la perfection).

Alexeï Steblianko, Chouïski en grande voix – mais assez conventionnel par son incarnation surtout si l’on se souvient de la composition d’anthologie d’un Phillip Langridge à Toulouse – Irina Mataeva dont le soprano fruité donnait aux quelques phrases de Xénia une tristesse indelébile, le Feodor idéalement garçon de Maria Matveyeva, la Nourrice sobre d’Olga Savova, l’Innocent criant de vérité (c’est le cas de le dire) d’Evgueny Akimov, jusqu’au Nikititch d’Alexeï Tannovitski dont le baryton sombre promet beaucoup, tous excellaient, sinon le Pimème de Vaneev, en voix éteinte et à l’incarnation banale.

En fosse les musiciens du Mariinski donnent enfin à entendre l’orchestre si original de Moussorgski, ils font sonner cette partition qui reste décidément interdite aux formations occidentales, mais le geste de Gergiev est bien anonyme, et l’on rêve ici aux temps historiques de la direction d’orchestre russe. Si Golovanov avait pu empoigner cette partition dans l’instrumentation du compositeur et non dans celle de Rimski-Korsakov, il aurait rendu hommage au génie de Moussorgski alors que le patron du Mariinski s’y satisfait d’un survol.

Jean-Charles Hoffelé

Boris Godounov de Moussorgski, Théâtre du Châtelet le 11 décembre, puis le 13 décembre.

Programme détaillé du Châtelet

Photo : Natasha Razina
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles