Journal

Paris - Compte-rendu - Bravo, bravissimo Pollicino. Ou comment les enfants nous donnent une leçon.

Voila, c’est simple, plutôt que déclarer le lundi de Pentecôte travaillé, on devrait le consacrer dans la France entière à une journée chômée et dédiée aux enfants, tous les théâtres lyriques de l’hexagone ouvrant gratuitement leurs portes à nos chères têtes blondes pour leur présenter l’un des nombreux ouvrages écrits au XXe siècle à leur intention. Une journée de solidarité avec l’enfance « déculturée » s’impose, assez de démagogie, un peu de courage messieurs les politiques.

En tous cas, le vaste vaisseau du Châtelet, envahi par tous ces enfants si attentifs, si captivés par ce Petit Poucet, rayonnait de leur présence silencieuse et ravie. Henze a écrit une musique évidente, post-stravinskienne, emplie de références à l’opéra italien (l’inénarrable plainte de l’Ogre reprenant note pour note celle de Rigoletto, clin d’œil délicieux), Claire Gibault, à laquelle on doit la savoureuse traduction française, a heureusement laissé la chanson napolitaine des petits poucets dans son original italien, rendant la saveur méditerranéenne de cet opéra inspiré avant tout par la version que Collodi tira du conte de Perrault. Sa direction efficace, inspirée (formidable scène avec les animaux de la forêt, vêtus des magnifiques costumes imaginés par Yannis Kokkos), accompagnait à merveille un plateau intelligemment sonorisé, qui rétablissait l’équilibre entre les voix des enfants et celles des adultes.

On n’est pas prêt d’oublier l’attention poétique que le soprano confiait à Pollicino, son timbre nacré. René Schirrer, formidable en Ogre capitaliste et ultra libéraliste, littéralement excité par ses recherches pédophiles sur Internet, résumait bien la cruauté du monde contemporain dont il faut bien que nous nous accommodions. L’ogresse piquée de Doris Lamprecht était assez irrésistible, alors que le couple des parents des petits poucets (Aurélie Legay, Eric Huchet), désespérant de misère osait un réalisme saisissant.

On ne riait pas du tout dans cet opéra flirtant avec l’idée que l’enfant est la première victime de la misère, d’autant qu’en ce début de XXIe siècle cela n’aura jamais été aussi vrai : ce sont les enfants qui meurent de faim de par ce monde aberrant, sacrifiés sur l’autel du profit. Le message social de Henze se coule sans accros dans le désespoir du conte de Perrault, sa fin elle-même, elliptique, nous montre les poucets et les filles de l’Ogre survivants à la traversée d’un fleuve. Epreuve initiatique assurément, mais qui les conduit vers quel avenir ? Tout reste en suspend, et c’est bien ce que sous-entend la lecture subtile d’un opéra qui nous parle sans détours de notre temps. Formidable, essayez de soustraire quelques places aux jeunes spectateurs, mais surtout, soyez discrets, et une fois assis dans votre fauteuil, faites vous oublier et méditez la leçon.

Jean-Charles Hoffelé

Pollicino de Hans Werner-Henze, Théâtre du Châtelet, le 22 avril.

Programme du Châtelet

Henze en DVD

Photo: M.N. Robert
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles