Journal
Paris - Compte-rendu : Festival Musica 2007 - De bien beaux assassins !
L’édition 2007 de Musica, Festival alsacien de musique contemporaine, s’est achevée ce week-end au Théâtre de Bâle sur un franc succès avec la création « française » du Vieux de la montagne (Der Alte vom Berge), pièce de théâtre musical en deux actes pour six voix, orchestre et électronique, du compositeur autrichien Bernhard Lang, né en 1957, que le directeur de la manifestation Jean-Dominique Marco avait décidé de mettre à l’honneur cet automne. Le public n’en a pas eu de regret et a fait un triomphe mérité à une soirée placée sous le signe de la beauté et de l’émotion.
Strasbourg n’oublie pas son enracinement européen : même la musique d’aujourd’hui y essaime et joue à saute mouton par-dessus les frontières, de Baden-Baden à Bâle. Si j’ajoute que cette création s’est faite dans la langue de Shakespeare, c’est dire assez l’universalité de l’entreprise. Quant à l’œuvre elle-même, elle commence par un madrigal à six autour d’une table ronde qui rappelle Le Roi Arthur comme Parsifal pour s’achever sur une sublime citation de Guillaume de Machaut. Le sous-titre « Opéra des assassins » ne laisse pas d’intriguer. Ce Vieux de la montagne, contemporain de notre Aliénor d’Aquitaine et d’Henri Plantagenêt, n’est autre que le fondateur de la secte des Ismaéliens dont les derniers représentants sont les princes Aga Khan.
Mais c’est plus au récit qu’en a fait le premier explorateur italien Marco Polo qu’à l’époux de la Bégum que se réfère Bernhard Lang ! Il a choisi lui-même les textes avec le plus grand soin en fonction de l’écho qu’ils éveillent en lui. Si le résultat n’est pas un opéra au sens classique du terme, c’est une manière de conte philosophique et fantastique que ne désavouerait pas notre Berlioz qui eut beaucoup de mal, comme on sait, à couler son imagination débordante dans le vieux moule opératique, de Roméo et Juliette aux Troyens et passant pas la Symphonique dramatique intitulée La Damnation de Faust.
Contrairement à ce que pourrait faire croire l’extraordinaire liberté dont témoigne la partition de Lang, ce dernier manifeste une rigoureuse maîtrise. Car s’il puise à tous les genres, de la musique improvisée à celle de cinéma beaucoup plus calibrée en passant par l’électronique et toutes les modes d’après-guerre, il parvient à une authentique originalité, à un style personnel remarquablement servi par le sextuor vocal et l’Orchestre symphonique de Bâle dirigé par Rolf Gupta. Il sait faire oublier la technologie au seul bénéfice de l’émotion vraie. On sait gré au metteur en scène Georges Delnon ainsi qu’au compositeur lui-même de nous avoir épargné toute allusion facile à l’actualité de l’Afghanistan où le vieux de la montagne s’appelle aujourd’hui Ben Laden et les feddayins talibans !
Car l’oeuvre parle d’elle-même à travers sa magnifique progression dramatique qui montre l’ensorceleur enivrer ses jeunes disciples de haschisch pour leur ouvrir un paradis artificiel – frère de celui des filles fleurs de Parsifal - afin de mieux les transformer en assassins dont on pouvait acheter les services. Un vrai conte moral à la Voltaire ! Pour mieux dissiper l’illusion et ramener les spectateurs sur terre, le scénographe a eu l’idée de fermer le rideau de fer qui s’entrouvre seulement pour laisser filtrer comme un baume bienfaisant les quelques mesures de Guillaume de Machaut dont le charme suspend et achève l’œuvre.
Jacques Doucelin
Festival Musica 2007 -Théâtre de Bâle, le 14 octobre 2007
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Photo : Philippe Stirnweiss
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