Le style c’est l’homme, assure-t-on. Cela irait assez bien à Nikolaï Lugansky, qui ne joue que comme il est, élégant, distant, aristocratique peut-être. En retrait en tous cas. En retrait de son pour commencer : ce piano sans timbre, aux basses discrètes et aux aigus sans éclat ne suffit pas pour les cris et les suspensions de la Sonate de Janacek dont il ne possède pas la grammaire – ces trilles traqueurs, ces silences gommés le montraient assez. Il faut dire ici et une pudeur semble l’en empêcher. Sa digitalité lisse convient peut-être mieux à la Troisième de Chopin dont au moins la part la plus lyrique tombe naturellement dans son jeu. Mais pourquoi faire la grande reprise du premier mouvement si c’est pour la dupliquer platement, et surtout pourquoi chanter toujours en dessous de l’effusion lyrique de la partition ? Dandysme ou simple manque d’implication ?

Durant l’entracte on se doutait de l’inadéquation absolue avec le geste épique de la 1ère Sonate de Rachmaninov : impossible de reconnaître Faust, Marguerite ou Méphistophélès que le compositeur personnifia dans chacun des mouvements d’une partition inspirée par Goethe ; impossible surtout de saisir la cohérence de l’œuvre : dans le finale le retour des deux thèmes de l’Allegro initial restaient inaperçus. Mais l’on doit rendre grâce à Lugansky d’avoir donné à entendre, même diminuée, cette foison de notes sombres qui reste l’un des opus les plus complexes coulés de la plume de Rachmaninov. Quatre bis montraient le pianiste soudainement plus libre, retrouvant quelques couleurs. Ce piano ouvrira-t-il un jour ses ailes ? Pour nous qui le suivons depuis son temps de culottes courtes, alors que Tatiana Nikolaieva l’emmenait dans ses bagages, ce serait une véritable joie.

Jean-Charles Hoffelé

Théâtre des Champs-Elysées, Paris, le 14 janvier 2009

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Photo : DR