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Paris - Compte-rendu - La mort au soleil. Gérard Mortier importe l’ultime opéra de Janacek à la Bastille

Klaus Grüber aime prendre le contre-pied poétique de la réalité. Contre toute une tradition qui nous mettait en scène De la Maison des Morts (qu’il serait d’ailleurs plus juste de traduire De la Maison de la Mort) dans des espaces sombres, vagues, oppressants, il situe la totalité de l’action au dehors, à l’air libre. Réponse radicale à la terrifiante salle commune de Strosser dans sa production genevoise, avec ses grabats alignés et sa tinette immense, et qui est bien plus qu’un simple postulat.

Grüber a écouté attentivement l’orchestre de Janacek, et il est vrai qu’il porte en lui une lumière constante, qu’exalte encore la direction lyrique de Marc Albrecht, peu soucieuse des conflits dramatiques de l’ouvrage pour qui se souvient de la dextre acérée d’Abbado à Salzbourg. Une fois l’ouverture incertaine passée, on espérait que les griffures de l’orchestre janacekien jailliraient enfin, mais las !, les solistes aussi excellents fussent-ils ne parvinrent pas à incarner cette langue roide, âpre, se réfugiant dans un geste esthétique trop lisse, comme à contre courant du sujet de l’oeuvre.

Assoiffé de lumière, Gruber a même vêtu les prisonniers de coutils safran, la scène pour le premier acte et la seconde scène du troisième est envahie par un immense platane stylisé, directement inspiré par les dessins des décors de la création à Brno, platane où Alyeya reste perché longuement. Grüber renâcle a créer des tensions, ses personnages sont habités par des dilemmes intérieurs, les disputes entre les bagnards font plutôt apparaître de pauvres types que de dangereux assassins. Le metteur en scène installe une monotonie avec un arrière goût tranquille d’enfer, laissant couler le temps de vies vaines, perdues, brisées à jamais. L’aigle qui prendra un envol stylisé, enfin métaphorique, à la fin de l’opéra n’est plus un oiseau de fauconnerie ou une figurine de métal, mais un homme déguisé en aigle-corbeau, réaliste et poétique à la fois. Il devient le double effectif de Gregor Goryanchikov, celui qui entre au bagne et qui en sortira alors que les autres, tous les autres, même Alyeya, y périront.

Dans un renversement étonnant, le divertissement que se donnent les prisonniers au II, avec la pantomime de Don Juan puis celle de la Belle Femme du Meunier, est fondu au noir, de grands portants sombres descendant des cintres pour figurer un théâtre éclairé par des crânes de morts porteurs de bougies. Ce qui devait alléger l’action la durcit au contraire, Grüber faisant jouer les prisonniers comédiens sans surcharge inutile. Mais le metteur en scène a trop compté sur la connaissance du public français (seule une production signée Volker Schloendorff avait présenté à l’Opéra Comique cet ouvrage aux lyricomanes parisiens en 1988) et ne rend pas lisible la mort de Filka Morozov, allongé à terre et tourné vers le fond de la scène. Son agonie trop discrète ne fait pas comprendre le télescopage du récit de Chichkov, qui narre la manière dont il assassina Akoulina car elle aimait Filka et le décès de celui ci. Littéralement Chichkov achève par les mots Filka, la mise en scène trop elliptique de Grüber ne rendait pas cette collusion sensible.

Mais le spectacle possède une poésie étrange, et tout le deuxième acte, avec son pope pompette, ses musiques de fête en scène, la confession amère, hallucinée de Skouratov (un surprenant Jerry Hadley, décidément inattendu dans ce rôle), est une vraie réussite. En deux gestes, et presque aussi peu de mots, Van Dam incarne Goryanchikov, alors que le commandant alcoolique de Jiri Sulzenko peinait à trouver son personnage, prisonnier d’un jeu appuyé. Trop de corbeaux (Hitchcock !) avaient envahi le platane pour la scène finale, mais à ce détail près le spectacle renouvelle l’approche d’une des œuvres les plus radicales du répertoire, sans effets gratuits et sans grandiloquence, se coulant sans faux plis dans l’idéal artistique de Janacek.

Jean-Charles Hoffelé

Première de De la Maison des Morts, Opéra de Paris Bastille, le 14 mai, puis les 19, 23, 27, 30 mai et les 1er, 6, 9 et 12 juin 2005. Attention, les soirées sont à 20 heures.

Janacek en DVD

Photo: Eric Mahoudeau/Opéra de Paris
 

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