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Paris - Compte-rendu : Ma vie pour une grenouille, reprise de Platée à Garnier
Les aventures de la Nymphe batracienne sont de retour sur les planches de Garnier, le public s’y presse avide d’humour et de fantaisie qui le délasseront d’une saison souvent sombre. Evidemment Platée garde, affirme même à chaque reprise, sa modernité, ou plutôt sa différence. D’où vient cette musique, comment Rameau a-t-il pu en inventer le lexique délirant et pourtant architecturé, comment a-t-il osé présenter pour les épousailles du Dauphin et de l’Infante d’Espagne, célèbre pour ses traits disgracieux, ce spectacle corrosif et bouffon où la promise ne pouvait manquer de se reconnaître ? Rameau savait-il le miroir qu’il tendait ? Et le tendait-il intentionnellement ? Mais surtout, hors les contingences, d’où jaillit cette musique ? Elle s’autorise à travers le prétexte de la dérision une langue qui aujourd’hui encore nous parle, mieux nous surprend.
Si l’on s’interroge aussi longuement c’est que Marc Minkowski révèle Platée depuis plus de quinze ans qu’il la fréquente et qu’à chacune de ses lectures on découvre de nouveaux angles d’approche d’un univers qui semble inépuisable. Mieux, Minkowski et ses musiciens ont réinventé Rameau de l’intérieur, se sont appropriés son art au point qu’ils s’ébattent dans cette musique avec un naturel révélateur. Laurent Pelly avec son système de décor déconstruit – une salle de théâtre envahie acte après acte par le marais – illustre les pouvoirs ravageurs d’une œuvre demeurée sans postérité.
La distribution reprend la troupe de la production crée en 1990 et illustrée par un DVD (1), à trois exceptions près : au prologue Yan Beuron cède Thespis à Bernard Richter(mais garde heureusement son Mercure crâneur) ; le ténor suisse apparaissait déstabilisé à la première mais son timbre perçant tombe exactement dans la voix du rôle. François Le Roux remplace Laurent Naouri en Cithéron, l’un comme l’autre excellant dans cet exercice de caractère et y déployant la même ironie mordante. En Jupiter François Lys renoue avec la tradition de la basse chantante française, pas revisitée depuis André Pernet. Quel Boris il nous fera demain ! Mireille Delunsch a retrouvé sa voix mise à mal par Donna Elvira, et sa Folie décoiffe, calquée sur le numéro inventé par Jennifer Smith qui reste ici inégalée, Valérie Gabail ne tend pas assez l’arc du plus bel air de la partition, ce « Soleil, fuis de ces lieux » confié à Clarine et assorti d’un hautbois et d’un basson mélancoliques, Lamprecht atteint au génie dans sa Junon à pétoire.
Reste Paul Agnew. Il est Platée, avec un art assez fin du burlesque, et son courroux qui donne aux dernières pages de l’œuvre le noir violent avec lequel elle avait flirté sans cesse, impressionne. Mais a-t-il la voix de Platée ? On y entend, contre son baryton plus assumé aujourd’hui qu’en 1990, un ténor plus élevé, au timbre plus acide, à l’aigu coupant, non pas les manières de Sénéchal, mais bien la verdeur, la méchanceté, l’ironie amère, le buffo désopilant qu’y mettait jadis Gilles Ragon. Jean-Paul Fouchécourt, annoncé pour les représentations des 19, 24, 28 avril et des 2 et 5 mai, risque de proposer une alternative diablement excitante.
Jean-Charles Hoffelé
Première de la reprise de la Platée de Rameau selon Laurent Pelly, Palais Garnier, le 14 avril 2006.
(1)1 DVD TK DV-OPPLT, disponible sur ce site.
Photo : DR
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