Journal
Paris - Compte-rendu - Un ange véhément au Théâtre de Mogador
Programme courageux et alléchant mais peut-être trop lourd pour Eschenbach comme pour ses musiciens : dés Im Sommervind, la première partition d’orchestre de Webern, un vrai rêve éveillé, le geste sera empesé, la sonorité d’ensemble regardant ostensiblement vers Richard Strauss, ce qui constitue en quelque sorte un contresens. Les mêmes griefs s’appliquaient à un Pelléas et Mélisande étouffé sous le poids de ses cuivres, Eschenbach ne trouvant que rarement les relais expressifs d’une partition décidément trop touffue, long exercice d’écriture polyphonique dont, paradoxe, on percevait surtout les grandes lignes verticales.
Eschenbach tomba dans l’un des chausse-trappes principal de l’œuvre, la tentation de l’arythmie qui produit un constant tuilage des relais instrumentaux, d’où une impression d’opacité dont Schoenberg avait pressenti le danger : il émaille sa partition d’indications rythmiques très précises qui, si on les suit à la lettre, dessinent derrière l’écran post-romantique un tout autre visage de l’œuvre, bien plus moderne, bien plus lumineux. Trouver les rythmes dans Pelléas et Mélisande, c’est dévoiler le vrai visage de l’œuvre, celui d’une partition autant tournée vers l’avenir que regardant le passé par-dessus son épaule, exactement à la croisée des chemins.
Quelques beaux moments (le filé des harpes avant la marche funèbre, le meurtre lui-même où soudain Eschenbach cabra tout son orchestre, la danse de Mélisande, emplie d’un giocoso soudain) ne purent masquer une lecture trop imprécise. Mais le public eut du moins le bonheur sans mélange d’entendre Christian Tetzlaff (photo ci-contre) dans le Concerto à la mémoire d’un Ange dont il est aujourd’hui, avec Frank Peter Zimmerman l’un des grands archets.
On reste confondu devant l’intelligence du regard qu’il imprime à la partition. Non seulement il maintient la tension du grand arc que déploie Berg sans jamais céder, ni en tempo ni en puissance, mais en sus il intègre avec un naturel évident l’hétérogénéité des formules dont le compositeur a truffé sa partition. Un usage stratégique du rubato, un archet abrasant lorsqu’il faut (tout le début du II, un véritable torrent de lave) et se faisant aussi léger qu’un brin d’herbe (le choral final), une main gauche impérieuse, donnant tous leurs caractères aux mouvements dansés, imprimant une diversité de phrasés recherchant et trouvant toujours l’expression juste, un vibrato parcimonieux, appliqué par touches fugitives gardant aux phrases leurs galbes exacts.
Dommage que Philippe Aïche n’ait pas reproduit à l’identique ce phrasé lorsqu’il répond au soliste, dommage aussi que l’orchestre ne se soit pas fait plus chambriste, plus souple, qu’Eschenbach ne soit pas parvenu à éclairer l’écriture si mouvante de Berg, on aurait tenu là une des plus parfaite exécution en concert d’une œuvre décidément très courue par les violonistes ces temps ci. Gageons qu’Eschenbach et son orchestre paraîtront sous un meilleur jour pour l’éclairant programme de la semaine prochaine qui réunira le Stabat Mater de Szymanovski et la Quatrième Symphonie de Mahler ( les 24 et 25 mars).
Jean-Charles Hoffelé
Concert de l’Orchestre de Paris dirigé par Christoph Eschenbach avec Christian Tetzlaff, Théâtre Mogador le 17 mars 2004
Photo : DR
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