Felicity Lott était de passage à Paris sur la scène du Châtelet, pour un récital dont elle a le secret, à la fois exigeant et léger, drôle et profond, unique toujours. Chaleureusement acclamée dès son entrée par un public d’admirateurs et de connaisseurs, cette grande dame du chant s’est rapidement immergée dans l’univers captivant d’Hugo Wolf. Son choix s’est porté sur dix mélodies extraites de L’Italienisches Liederbuch d’après des poèmes vénitiens et toscans traduits en allemand par Paul Heyse. La voix de la cantatrice sûre, vive et claire n’a aucun mal à se plier à rhétorique wolfienne, à changer constamment de couleur, d’inflexion, d’humeur et de climat.

Ne se posant pas le problème de la résolution technique, elle focalise son attention sur l’intention et rend ainsi justice aux désirs du compositeur, séduit par la légèreté ludique, les mots d’esprit et la joie de vivre italienne, présente dans ces « rispetti », courtes histoires de coeur qui exposent sans complexe les états d’âme de jeunes amoureux. Facétieuse « Nein, junger Herr », sournoise « Wer rief dich denn ? », délicate et fragile « O wär dein Haus », ou tout à coup sombre et tourmentée « Wir haben beide », Felicity Lott est inégalable dans l’art de jouer les caractères, de peindre les sentiments ou d’instiller le drame dans l’espace le plus restreint. On a beau l’avoir entendue maintes fois se prêter à cet exercice, la voir passer d’un univers à l’autre, vivre l’instant avec un tel naturel et une telle maîtrise, demeure fascinant.

Les six lieder tirés du précieux corpus de Strauss, ne sont pas une découverte, mais la retrouver dans ces pièces qu’elle fréquente depuis longtemps, tient à la fois de l’exploit et d’une impression d’éternité. La souplesse de son instrument, son aigu flottant, son timbre projeté selon les besoins, avec vigueur ou économie, tout chez elle est au service de l’expression. Maîtresse de ses pensées et d’une ligne de chant que rien ne contrarie, l’interprète étonne encore par la douceur du regard posé par cette mère sur son enfant « Meinem Kinde », la force tranquille imprimée au « Ruhe meine Seele », ou l’impression céleste qui entoure le « Wiegenlied », magnifiées par le brillant accompagnement de Graham Johnson.

Fidèle à son attachement pour le répertoire français et à la musique de Poulenc, Felicity Lott en seconde partie, a donné tout son sens au cycle « Tel jour, telle nuit » sur des poèmes pourtant bien ardus du surréaliste Paul Eluard, en insufflant ce qu’il faut d’énergie et de dynamique à cet ensemble pour le moins étonnant. Quelques Barber sur des textes de Joyce et de Auden nous ont permis de retrouver la cantatrice dans sa propre langue, avant que le programme ne soit conclu avec trois Poulenc dont le rare « A sa guitare » de Ronsard, composé pour Yvonne Printemps.

Au comble du bonheur, la public a rappelé sa « diva », qui ne voulait pas non plus prendre congé rapidement : « Dis-moi Vénus », « Je ne suis pas ce que l’on pense », « J’ai deux amants », « Adieu mes amis bonsoir », agrémentés de mimiques irrésistibles et chantés avec humour bien sûr, mais aussi une pointe de nostalgie ont fini de rassasier l’appétit musical de chacun.

Prochain rendez-vous avec Lady Lott, les 25 septembre et 2 octobre à l’Auditorium du Musée d’Orsay : nous y serons.

François Lesueur

Théâtre du Châtelet, 19 mai 2008

Programme détaillé du Châtelet

Photo : DR