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Paris - Compte-rendu : Une reprise réussie. La Guerre et la Paix à la Bastille.
En voyant la frêle silhouette de Vladimir Jurowski se glisser entre les pupitres de la fosse de Bastille, on avait une pensée émue pour Gary Bertini, défenseur inspiré de La Guerre et la Paix dans ce même lieu, et qui vient de nous quitter. Ceux qui veulent retrouver sa direction visionnaire se procureront le DVD du spectacle. Wladimir Jurowski prenait en quelque sorte le contre-pied de sa battue enflammée, contrôlant tout sans pour autant étouffer le formidable orchestre de Prokofiev, jamais aussi morbide et délétère durant le bal, si tendre pour fêter l’arrivée du printemps.
Ce n’est pas un secret, la plus belle musique écrite par Prokofiev ici est celle de la paix, aux mélodies inusables, celle de la guerre, malgré ses effets d’orchestre saillants, tirant à la ligne, empêtrée dans ses harangues patriotiques de circonstance qui finissent par vieillir. C’est l’Histoire qui plombe ce type d’ouvrages, et le date immanquablement. Les murs qui ouvrent et ferment l’espace durant la paix sont toujours aussi pratiques (Francesca Zambello, qui fonctionne par recettes, les utilise aussi avec la même virtuosité dans ses Dialogues des Carmélites, repris également cette saison), l’armada de canons (qu’on sort incontinent pour en rentrer autant voir plus) encombre Borodino, et les décors de la Guerre sont sacrifiés à ceux de la Paix. C’est pourtant la Guerre qui inspire à Zambello les deux vrais idées de son spectacle, l’apparition de Natacha dansant sur le retour du thème de la valse en plein Borodino, et le soudain enfoncement de la scène lorsque Napoléon et ses sbires se retrouvent cernés par l’incendie de Moscou, effet toujours aussi spectaculaire.
Pour la distribution Gérard Mortier a eu la main heureuse. Honneur à quelques silhouettes : la Maria Akhrossimova de Felicity Palmer, qui en deux gestes dessine un personnage fascinant, à la fois ironique, dur et tendre, la fantastique incarnation du vieux Bolkonski par l’immense basse qu’est Gleb Nikolsky, que l’on retrouvera bientôt à Bastille en Pimène mais dont on rêve de voir et d’entendre le Boris ou le Dosifei, l’inusable Vladimir Matorine, avec son baryton sombre et cuivré, son émission de stentor, qui campe un Balaga d’un réalisme saisissant. Bo Skovhus et son physique avantageux vont comme un gant au rêveur Prince André, et même si le timbre semble de plus en plus sec, sa mort s’incarne dans une voix soudain assouplie.
Zaremba, toujours fascinante en Hélène, met ce qu’il faut de poison dans son personnage. Pierre Bezoukhov est toujours un défi, aussi bien pour l’expression que pour la vaillance vocale, Michael König réussit à saisir toute la complexité psychologique de ce caractère où Tolstoi a mis beaucoup de lui-même. Durant la paix, la Tzigane de Irina Doljienko est à marquer d’une pierre blanche, tout comme l’Anatole veule à souhait de Vsevolod Grivnov. La guerre fait la part belle au Koutouzov de Vladimir Ognovenko, comédien étonnant et chanteur à l’émission percussive. Mais le Napoléon jamais caricatural de Vassili Gerello lui tient la dragée haute. Autre incarnation saisissante, le Platon Karataïev de Nikolaï Gassiev.
Mais La Bastille n’avait d’yeux, et c’est justice, que pour la Natacha d’Olga Guryakova, qui chantait déjà le rôle en 2000. La voix a pris de l’ampleur sans sacrifier son timbre de lait, pas une once de vibrato superflu, une intelligence du personnage et de son destin confondant. Dire qu’elle rendait justice au personnage de Tolstoï est un euphémisme. Guryakova est simplement Natacha. Allez la voir et l’entendre toute affaire cessante.
Jean-Charles Hoffelé
Opéra Bastille, les 24, 26, 30 mars et les 3, 6 et 8 avril 2005
Le DVD de la production de 2000
Programme détaillé de l’Opéra Bastille
Photo: Eric Mahoudeau/Opéra de Paris
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