Plus personne aujourd’hui ne joue comme le grand pianiste tchèque Yvan Moravec qui était le dernier invité du Piano **** au Châtelet. Ce n’est pas une réserve, mais un compliment sans restriction. Au lieu d’élever des animaux sauvages et pittoresques, ce grand Monsieur de la musique européenne a appris à jouer du piano, c'est-à-dire à dominer le monstre qu’il affronte. D’abord dans son pays, à Prague dont on sait depuis Mozart quelle capitale éclairée de la musique elle peut être avec une tradition, comme Naples ou Vienne, notamment pour le piano.

Mais il est allé butiner hors de ses frontières écoutant Cortot, Gieseking dont il perpétue le moelleux dans son toucher, travaillant avec l’infaillible perfectionniste des Dolomites Michelangeli. Avec tout cela, Moravec s’est forgé une sonorité qui reflète une personnalité que l’on reconnaît à sa probité, mais qui ne pollue jamais l’essence des œuvres qu’il aborde. Ainsi a-t-il fait des grands moments de musique des Scènes d’enfants de Schumann et de Pour le piano de Debussy. Son Schumann transparent et vif est un modèle d’équilibre : au centre de la suite, il fait chanter les marteaux sans ostentation dans une Rêverie vraiment de rêve avant d’évoquer L’eau et les songes de Bachelard dans un impressionniste L’Enfant s’endort.

Leçon de style avec un fabuleux Debussy qui nous ramène à Michelangeli et à Gieseking. S’il a dû rester prudent en raison d’un refroidissement dans les pièces les plus virtuoses de Chopin qui suivent, sa maîtrise est telle que la musique sort toujours victorieuse des doigts de ce magicien de 75 ans. Il atteint au sublime dans un bouquet de Nocturnes encadrés par la Fantaisie opus 49 et la Première Ballade. Les bis sont au diapason avec le chant infini et les sanglots pudiques de la Mazurka en la mineur et une Sérénade de la poupée ciselée de son cher Debussy.

Jacques Doucelin

Châtelet, le 25 janvier 2006.

Programme du Châtelet

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