Journal
Patrizia Ciofi et Leo Nucci au TCE - Titanesque duo - Compte-rendu
Depuis que leurs chemins se sont croisés, Leo Nucci et Patrizia Ciofi ne se quittent plus. Lui, est le plus ancien baryton Verdi en activité, elle la soprano la plus accomplie de son temps. Italiens tous les deux, mordus de scène, ils ont la musique dans la peau et n'ont de cesse de partager leur passion avec le public. Après un triomphal Rigoletto donné à Madrid en 2009, les deux artistes se sont rapidement retrouvés en concert pour prolonger une relation musicale aussi rare qu'éclatante.
Qui pouvait mieux qu'eux inaugurer la nouvelle saison des Grandes Voix du TCE ? Personne si l'on en juge l'accueil exceptionnel qui leur a été réservé mercredi dernier. L'air d'entrée de Lucia di Lammermoor, avec ses teintes crépusculaires, son atmosphère tourmentée malgré quelques lueurs d'espoir, est depuis toujours la carte de visite de Patrizia Ciofi. Le timbre mélancolique, les inflexions parfaitement dosées et les ornements d'une constante expressivité, confèrent à l’héroïne une touchante fragilité.
Débutée par un vigoureux « Pari siamo » marqué par la douleur et le poids du secret, la série d’extraits de Rigoletto a, comme prévu, enthousiasmé l'auditoire. Dans le rôle du bossu contraint de protéger sa fille des dangers de la cour, Leo Nucci conserve à plus de soixante-dix ans, une grande énergie, mais également un volume vocal impressionnant et manifeste une rare conviction théâtrale. Tendre ou véhément, protecteur ou plein de hargne, il déploie un véritable arsenal expressif auquel Ciofi répond avec une incroyable maîtrise. Galvanisée comme à Orange en 2011, la soprano exécute avec une musicalité ravageuse un « Caro nome » archet à la corde, d'une vertigineuse sensibilité, suivi par un juvénile « Tutte le feste » aux phrasés ductiles et planants, avant de se lancer à corps perdu dans le célèbre duo « de la vengeance », rejointe par un Nucci endiablé.
Même niveau d'exigence, même respect et même connivence musicale avec les extraits de La Traviata donnés en seconde partie. Le personnage de Violetta n'a guère de secret pour la cantatrice qui en connaît les moindres détails, sait en souligner les ardeurs et la fébrilité, ou faire naître l’inquiétude et l’exaltation pendant le « Sempre libera », au gré de jubilantes vocalises chantées avec ivresse et précision. Le bonheur est pourtant de courte durée, l'apparition de Germont, finement incarné par Leo Nucci (comme à Berlin en 2011), patriarche sévère mais déstabilisé par cette jeune femme déterminée, venant obscurcir le destin de celle qui se croyait délivrée.
Accompagnés avec sagacité par Marco Zambelli au pupitre de l'Orchestre de chambre de Paris, les interprètes ont su parer leurs échanges d'une réelle intensité (« Dite alla giovine », « Morro la mia memoria ») et révéler grâce à d’infinies nuances la poignante émotion dispensée tout au long de ces pages inoubliables. Ne pouvant se soustraire aux volontés d'une salle en délire, ces titans ont tout d'abord bissé, puis trissé le duo de Rigoletto « Si vendetta, tremenda vendetta », comme ils le firent à Orange. Décidément uniques !
François Lesueur
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 19 septembre 2012
Programme complet de la série Les Grandes Voix : www.lesgrandesvoix.fr
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Photo : DR
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