S’il est quelqu’un d’heureux sur le sol français en cette fin d’année passablement glauque, c’est bien le jeune danseur de l’Opéra de Paris, Paul Marque, 23 ans. Les balletomanes, toujours avides de nouveaux talents, tant ceux qu’ils aiment leur sont enlevés trop vite, avaient tous repérés l’élégance fluide, l’aisance et la beauté des lignes de ce garçon capable d’être lumineux ou réservé , mais attirant à coup sûr tous les regards. Un don rare, qu’il possède pleinement, sans forfanterie. Puis, le 13 décembre dernier, lors de la représentation de La  Bayadère, arrachée au silence grâce à la nouvelle plateforme numérique « L’Opéra chez soi », on a vu sur le plateau le directeur de l’Opéra Alexander Neef et la directrice de la danse, Aurélie Dupont, s’avancer de façon totalement inattendue à la fin du spectacle, et au lieu de prononcer quelque discours de circonstance, annoncer tout simplement que l’Opéra avait une nouvelle étoile : larmes de l’élu, applaudissements nourris des camarades, faute de public, et un bain de fraîcheur dans l’actuel panorama artistique, si morose, si douloureux. Le jeune artiste lui, a déjà reçu son cadeau de Noël et il rayonne.
 
Aviez-vous une vague idée de ce qui vous attendait, ce jour là ?
 
Paul Marque. A 200% je ne m’y attendais pas, d’autant que ce n’était pas le rôle principal, même s’il s’agissait pour moi d’une prise de rôle. Une surprise totale, un conte de fées.  Et effectivement, ce n’est pas très habituel, même si des cas hors normes se sont déjà présentés, notamment pour Germain Louvet qui n’était pas premier danseur, ou bien avant, Dominique Khalfouni , mère de Mathieu Ganio, laquelle ne l’était pas non plus. En plus je suis encore très jeune, ce qui me donne 19 années en tant qu’étoile, une chance magnifique dans nos carrières si éphémères.   
 
Malgré le confinement, on a pu vous voir à plusieurs reprises, dans les pas de deux de Casse Noisette en octobre au Palais Garnier, et là en Esclave doré :  vous y étiez très différent, comment l’expliquez vous ?
 
P.M. : Les pas de deux de Casse Noisette, chorégraphiés par Noureev, sont d’une extrême difficulté, même s’il n’y paraît pas forcément. En plus, nous les avons dansés sur une scène à laquelle nous n’étions pas habitués (la fosse d’orchestre recouverte), avec des éclairages très durs, fait pour une distance beaucoup plus grande. Et après une longue période d’inactivité, même si les trois semaines de cours et les trois semaines de répétition auraient dû suffire amplement, en temps normal. Mais là, nous avions été arrêtés depuis longtemps et tout était ardu. C’est pourquoi j’ai dû y paraître un peu tendu. Heureusement, j’ai bénéficié du partenariat de Dorothée Gilbert, qui connaît bien ces chorégraphies, et m’a beaucoup aidé. Ensuite, l’Esclave d’or de La Bayadère m’a paru beaucoup plus simple, et j’ai pu y donner pleinement ma mesure.
 
Vous êtes entré à l’Ecole de Danse de l’Opéra en 2008. Etait-ce une passion innée ?
 
P.M. : Je viens de Dax, un endroit où il n’y a aucune culture chorégraphique et ce monde nous était totalement étranger. Mais dès l’âge de trois ans, je ne faisais que danser, danser, et sur n’importe quelle musique. En plus mes parents m’ont raconté que lorsque j’allais regarder ma sœur dans son cours de danse, j’ouvrais des yeux énormes. Et puis très vite, je suis rentré dans une école locale, j’ai été aussi en contact avec le Stage estival de Biarritz et il est apparu que là était mon avenir. Je rends grâce à mes parents qui m’ont toujours soutenu, comme leurs  autres enfants, sans nous pousser.

© Opéra national de Paris
 
Y a-t-il un type de danse qui vous attirait particulièrement ?
 
P.M. : Comme je vous l’ai dit, la danse est pour moi un mode d’expression universel, quelle qu’elle soit , mais j’ai été surtout émerveillé par le tracé, le graphisme, l’harmonie de la danse académique, sans rien de péjoratif pour ce mot qui montre simplement la beauté de figures bien construites. A cet égard, puisque j’ai toujours eu Elisabeth Platel comme directrice à Nanterre, je rends un vibrant hommage à la perfection de son style, à la pureté de des attitudes. Dans les spectacles de l’Ecole j’ai pu notamment danser dans le sublime Yondering, de Neumeier. « Il faut casser les règles » disent souvent les danseurs d’aujourd’hui. Je veux bien investiguer, mais en ne reniant rien de ce qui dessine un corps de danseur accompli, ni son patrimoine.
 
Votre trajectoire, impeccable à l’Opéra a été aussi couronnée en 2016 d’une médaille d’or à Varna, la plus prestigieuse des compétitions de danse. Qui vous a poussé ?
 
P.M. : Personne, sinon une amie danseuse avec laquelle nous devions nous présenter ensemble. Puis elle s’est blessée, et j’ai fait face, pour mon plus grand bonheur. Mais le répétiteur qui m’a beaucoup aidé est Gregory Gaillard, maître de ballet à l’Opéra. En fait, pour le moment, j’ai déjà dansé dans plusieurs types de chorégraphies, mais j’ai eu peu d’expériences contemporaines. Je vais mûrir, lorsque les rôles d’étoiles me permettront d’approfondir mon art et ma personnalité scénique. Pour l’heure, j’aime à peu près tout ce que j’ai fait, que ce soit dans la Dame aux Camélias de Neumeier ou Fancy free, de Robbins, et de Cranko à Ashton, la multiplicité de ces styles me ravit et je ne permets pas encore de juger.
 
Quelle sont vos icônes, puisque les moyens numériques, permettent d’élargir le champ  des références ?
 
P.M. :  A l’Opéra, j’ai une immense admiration pour Mathias Heymann,  qui est la perfection en mouvement. Parmi les étrangers, je suis fasciné par Friedemann Vogel et Vadim Muntagirov, fantastiques virtuoses et interprètes inspirés. Et puis, il y a toujours la marque de Manuel Legris, dont je retiens quelques leçons, quelques pistes qui m’aident énormément. Mais parmi les chorégraphes, mon dieu demeure Noureev, dont j’aime passionnément les chorégraphies, très variées, très riches, et le rôle que je rêve de tenir pour le moment est celui de Solor dans La Bayadère. Mais je n’ai pas encore beaucoup réfléchi à ces perspectives d’avenir. Le présent est merveilleux et je ne veux que danser. Si dans les Quatre tempéraments de Balanchine, que j’ai travaillés, j’ai une prédilection pour le Mélancolique, sur le plan technique, parmi les sept nains, je suis sûrement Joyeux.
 
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 21 décembre 2020

Photo © Opéra national de Paris