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Pénélope de Fauré au TCE - Justice est faite - Compte-rendu
Comme le clame haut et fort Ulysse dans le grand finale de Pénélope, « Justice est faite ». Cent ans après sa création parisienne, l'ouvrage pourtant glorieusement défendu au siècle dernier par Germaine Lubin et Régine Crespin, vient de renaître grâce aux talents conjugués d'un chef, Fayçal Karoui, et d'un couple déjà mythique : Anna Caterina Antonacci et Roberto Alagna.
Composée par Fauré un peu plus d’une décennie après Prométhée (1900) première tentative opératique peu concluante de l’auteur de La Bonne Chanson, Pénélope (1913) est un pur drame lyrique à la française ; l'œuvre de transition d'un musicien du XIXème siècle qui réalise un classique du XXème. L'action, focalisée sur le retour d'Ulysse à Ithaque après dix ans d’absence, n'est pas exempte d'un certain statisme, mais la force du livret de René Fauchois, tiré de la légende homérique, tient assurément au caractère affirmé dont sont dotés ces héros antiques et à la qualité du texte, élégant et sans affectation. La musique manque sans doute d'inventivité, de génie visionnaire, mais cet entêtant flot musical quasiment ininterrompu, qui puise aussi bien dans l'intimité de la musique de chambre, que dans le grand opéra, proche du poème symphonique, possède un réel pouvoir hypnotique, qui fait ici tout le charme du discours fauréen.
Seul un couple d'exception était envisageable pour faire de cette résurrection un moment inoubliable et l'on se réjouissait à l'avance d'entendre pour la première fois Anna Caterina Antonacci et Roberto Alagna, tous deux lauréats du Concours Pavarotti en 1988, jamais encore réunis sur un même plateau. Le rôle de Pénélope, comme celui d'Armide, d'Alceste ou de Cassandre, tombe sans un faux pli sur la voix majestueuse de la cantatrice italienne, belle à couper le souffle dans sa longue robe émeraude juste soulignée par une étole rose tyrien. Drapée dans la douleur et l’incertitude face au destin qui l'accable, cette souveraine résiste à la pression des prétendants, harcelée, mais digne, désirée mais fidèle à un époux qui tarde à revenir. On ne sait qu'admirer le plus chez cette artiste complète, la prosodie française déclamée avec pureté et distinction, la présence vocale autant que dramatique, ce style décanté, puissant et naturel qui émane d’une héroïne tourmentée, une irrépressible féminité. L'instrument posé sur le souffle, maîtrisé jusqu'aux extrêmes, l'ampleur des accents employés, ainsi que la richesse des nuances qui laissent entrevoir un brasier sous le marbre apparent, font d’Antonacci la plus éclatante héritière de Crespin, autre Pénélope avant elle et sur cette même scène, un soir de 1956 (le live existe, dirigé par Inghelbrecht, avec Raoul Jobin).
Aminci, les traits tirés, Roberto Alagna a lui aussi trouvé en Ulysse un rôle à sa mesure. Le texte sort de sa bouche avec fluidité, sans paraître suranné, le timbre cuivré, éteint d'abord, se corsant progressivement à l'approche du dénouement. Réchauffé au contact de cette femme accueillante et troublée, le ténor qui joue un vieillard étranger, réserve toute sa puissance à la très belle scène de l'arc, qui précède l'épisode attendu de la vengeance conclu par celui des retrouvailles, où Ulysse démasqué peut enfin unir sa voix à celle de Pénélope. Gageons que ce merveilleux duo, qui se reformera cet été à Orange pour un concert exceptionnel (le 19 juillet), acclamé avec insistance au point de redonner en bis le finale, donnera des idées à de nombreux programmateurs.
Autour de ces deux astres, on découvre une jolie constellation dominée par Sophie Pondjiclis (Cléone), Khatouna Gadelia (Mélantho) et Marina de Liso (Euryclée), toutes trois dévouées à leurs maîtresses, à l’image du berger Eumée, chanté avec conviction par Vincent le Texier. Parmi les prétendants, se détache la belle prestation du baryton Edwin Crossley-Mercer (Eurymaque), Julien Behr (Antinoüs), Jérémy Duffau (Léodès) et Marc Labonnette (Ctésippe) rivalisant avec aplomb.
A la tête d'un Orchestre Lamoureux au son plein et charnu, Fayçal Karoui obtient le meilleur d’instrumentistes préparés avec minutie. Leur constant engagement sert au plus près une musique subtile et raffinée qu'il fait bon entendre à nouveau.
François Lesueur
Fauré : Pénélope (version de concert) – Paris, Théâtre des Champs Elysées, 20 juin 2013
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Photo : Vincent Pontet / Wikispectacle
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