Journal

Performance médiévale à la Cité de la musique

Le Moyen-Age est à l’ordre du jour à la Cité de la musique : le Musée présente une magnifique exposition « Entre ordre et désordre », qui, sous un titre assez convenu, insiste, grâce à la présentation d’un remarquable ensemble d’œuvres diverses (manuscrits, instruments de musique…), sur l’étrangeté d’un temps essentiellement marqué par l’ordre terrestre et par l’ordre céleste. On peut y saisir aussi non seulement la place de la musique au sein de la société médiévale, mais aussi le rôle du musicien-conteur, s’inscrivant dans une lignée antique qui commence avec l’aède grec et se poursuit jusqu’au trouvère et au troubadour du XII e siècle.

Le musicologue américain Benjamin Bagby, le chef remarquable de l’ensemble Sequentia, installé à Paris depuis quelque temps, a ainsi gratifié le publc parisien d’un concert exceptionnel samedi dernier, au cours duquel il faisait revivre la figure du barde, du conteur-chanteur capable de soulever un auditoire par les seules ressources de sa voix et de sa lyre. Bagby et ses trois compagnons se sont livrés à une reconstitution minutieuse des chants d’un harpeur rhénan du onzième siècle, d’après un manuscrit conservé à Cambridge.

Trois instruments seulement, hérités de l’Antiquité, harpe, lyre, flûte, et fabriqués à la manière médiévale, sont employés pour soutenir les cantilènes archaïques et ténues ou les souples polyphonies de ce vieux compositeur allemand anonyme. Les préoccupations archéologiques de Benjamin Bagby n’entravent jamais sa sensibilité, et l’expressivité de cette musique vieille de mille ans a su encore toucher un public enthousiaste. Il faut dire que la personnalité du musicologue permet à chacun d’apprécier les textes chantés en latin et parfaitement énoncés par les chanteurs : Bagby fait revivre ces pièces grâce à une habile et naïve mise en scène, qui nous fait sentir ce que pouvait être une musique médiévale, proche et lointaine tout à la fois.

Mais le point culminant de la soirée fut sans aucun doute l’interprétation d’un extrait du vieux chant d’Attli, poème islandais du dixième siècle. L’an dernier, Bagby nous avait littéralement transporté durant une heure et demie au cours d’une performance mémorable : il avait récité à la manière d’un ancien barde, seul avec sa lyre à sept cordes, un long passage de Beowulf. Cette année, il s’est associé à l’Ensemble Sequentia pour déclamer plusieurs laisses du chant d’Attli : la violence et la sauvagerie de cette histoire terrible où les morts se succèdent, assassinés par trahison, tués par vengeance, et qui s’achève par un cataclysme final dont s’inspirera Wagner mille ans plus tard, était encore accrue par la stridence d’une petite flûte sur-aiguë et par les coups implacables du tambourin.

Admiratif du talent de Bagby, qui nous a plongé une fois de plus en plein Moyen-Age par la seule puissance évocatoire de sa parole, nous ne pouvions qu’être frustré de la brièveté de cette interprétation, et attendons avec impatience la prochaine apparition de ce barde contemporain.

Christophe Corbier

Cité de la musique, le 27 mars. Cycle Moyen Age, jusqu’au 4 avril.

Photo : DR
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles