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Philippe Jordan dirige l’Orchestre de l’Opéra à la Philharmonie de Paris – À fleur de timbre – Compte-rendu
Il y avait foule à la Philharmonie de Paris, pour le premier concert du cycle Schoenberg de l’orchestre de l’Opéra Bastille, sous la direction de son directeur musical, Philippe Jordan. Concert hors les murs, où l’acoustique si réussie de la nouvelle salle parisienne rendait justice à l’excellence de l’orchestre, mieux que la fosse de sa « maison-mère » …
On le vérifiait dès les Variations pour orchestre d’Arnold Schoenberg, créées en 1928 sous la direction de Wilhelm Furtwängler, à Berlin (Schoenberg, rancunier, avait refusé Vienne). Introduction, thème, neuf variations, finale : douze mouvements au total, normal pour une œuvre fondatrice de la musique dodécaphonique, et de la méthode sérielle ! Schoenberg s’y place sous l’invocation de Bach, dont il épelle le nom (les quatre lettres correspondant dans le solfège germanique aux notes : si bémol, la, ut, si naturel) à deux reprises — aux trombones à la fin de l’introduction, aux trompettes avant l’adagio du finale. Refusant d’être taxé de révolutionnaire, l’auteur du Pierrot lunaire était soucieux de se rattacher à la lignée des grands ancêtres (les trois B, Bach, Beethoven, Brahms, passés maîtres, justement, dans l’art de la variation).
Au risque de rentrer dans le rang, et la postérité ne lui a pas épargné le reproche d’académisme (voir Pierre Boulez, « Schoenberg est mort »). Ce qui séduit, ce soir, dans ces Variations d’une écriture très (trop ?) didactique, c’est leur luxuriance instrumentale, de l’intimisme de la musique de chambre (la valse de la quatrième variation) aux déchaînements symphoniques (le finale). Sous la battue de Philippe Jordan, très précise mais guindée, vents et cuivres de l’orchestre de l’Opéra déploient de fraîches couleurs, claires et sensuelles, qui augurent bien des prochaines exécutions de Moïse et Aaron (à partir du 20 octobre).
Après l’entracte, l’orchestre rentre aminci — plus de trombones ni de tuba, une seule harpe au lieu de deux. Mais avec une percussion enrichie d’un glockenspiel et de grelots dont les sonnailles crépitantes confèrent à cette Quatrième Symphonie de Mahler son parfum d’enfance et de conte de noël. Créée en 1901 à Munich sous la direction du compositeur lui-même, elle est, de ses neuf symphonies, la plus heureuse, et la plus équilibrée — quatre mouvements, d’une durée habituelle, et dans l’ordre habituel. Entre ironie (deuxième mouvement) et tendresse (le finale), elle regarde vers le classicisme de Haydn, sa (fausse) bonhomie et son humour. Elle est aussi la plus viennoise, avec ses alanguissements voluptueux, sa sensualité à fleur de timbre — glissandos suaves, rubatos aguicheurs. Dirigeant sans partition, Philippe Jordan, gestes larges, corps souple et dansant, est en pays de connaissance — n’est-il pas le nouveau patron des Wiener Symphoniker ? Le lyrisme culmine dans le troisième mouvement (ruhevoll, tranquille) — une ardente méditation dans laquelle Mahler confiait avoir voulu rendre hommage à sa mère, et à sa bonté. Les cordes de l’orchestre de l’Opéra y font merveille, chaudes, vibrantes. Le pupitre de cors n’est pas en reste. Les dernières mesures, avec les violons dans le suraigu, à l’unisson des flûtes, accèdent à un paradis séraphique. Le finale — un lied intitulé « La vie céleste » — s’y installe résolument. La soprano salzbourgeoise Genia Kühmeier respecte magnifiquement le ton de confidence et d’ingénuité que réclame Mahler — « très doux et très mystérieux jusqu’à la fin ». Rendant hommage à son protecteur après sa mort, en 1911, Schoenberg affirmait : « Mahler est un saint ». L’orchestre de l’Opéra de Paris et son chef ont fait briller avec éclat son auréole.
Gilles Macassar
Paris, Philharmonie I, 16 septembre 2015
Prochains concerts du cycle Schoenberg de l’Opéra de Paris:
Pierrot lunaire, Deuxième Quatuor à cordes,
Palais Garnier, le 25 octobre, à 19 h 30
Gurre Lieder,
Philharmonie de Paris, le 19 avril 2016
Photo Philippe Jordan © Ronaldo
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