Sorte de coda rouennaise au 8e Festival Bru Zane Paris, la Phryné de Saint-Saëns avait été donnée au tout début de juillet 2021 au théâtre de Arts (1), la version retenue pour cette résurrection étant celle avec les récitatifs d’André Messager (2), composés en 1896, trois ans après la création de l’ouvrage à l’Opéra-Comique, afin d’en faciliter la diffusion à l’étranger - et diffusion il y eut puisque Phryné compte parmi les plus grands succès de la carrière de son auteur. Depuis, un enregistrement est sorti dans la collection Opéra français du Palazzetto, qui a permis de faire connaissance de manière plus approfondie avec ce court opéra-comique en deux actes.
 

Hervé Niquet © S. Brion
 
Inscrite assez tardivement dans la programmation du 9^e Festival Bru Zane Paris, la version de concert de Phryné qu’Hervé Niquet vient de diriger à la salle Favart a été reçue par un public aussi nombreux qu’enthousiaste. Il est bien difficile il est vrai de résister à une partition qui conjugue de manière aussi subtile le divertissement avec une science d’écriture d’un raffinement confondant ; elle fait regretter que Saint-Saëns se soit limité à cette unique incursion dans le répertoire comique. Difficile aussi de trouver un chef plus résolument convaincu par le souriant génie de Phryné qu’Hervé Niquet. A la tête de l’Orchestre national d’Île-de-France – très investi – pour cette reprise parisienne, le chef attaque l’introduction de l’Acte I tout en bondissant vers l’estrade : voilà l’affaire lancée avec une vitalité et un art de la couleur dont l’interprétation ne se départira jamais.
 

Thomas Dolié (de dos), Cyrille Dubois, Anne-Catherine Gillet & Anaïs Constans © S. Brion

Le chanteurs ne sont pas en reste, stimulés par un tel appétit de musique. Anne-Catherine Gillet (photo) apporte toute la richesse de sa voix au rôle-titre et en offre une approche voluptueuse et sensuelle, différente de celle de Florie Valiquette (présente à Rouen et dans l’enregistrement), plus piquante et coquine – deux options aussi défendables l’une que l’autre. Cyrille Dubois demeure fidèle à Nicias ; annoncé souffrant (le ténor sort de la série du Roméo et Juliette de Berlioz à Strasbourg puis Paris), il se montre à la hauteur du rôle (on n’ergotera pas sur quelques notes un rien prudentes), mêlant charme, drôlerie et touchante sensibilité avec un merveilleux art des mots. Thomas Dolié exploite toujours aussi talentueusement le potentiel comique du personnage de Dicéphile, ce d’autant qu’une part de jeu scénique a été opportunément introduite dans cette version de concert, ce qui n’apporte que plus de relief aux interventions des trois rôles secondaires, remarquablement tenus par Anaïs Constans (Lampito), Matthieu Lécroart (Agoragine, Le Héraut) et Camille Tresmontant (Cynalopex). Placé en fond de scène, le Chœur du Concert Spirituel ne dispose pas d’autant d’espace qu’à Rouen mais s’investit toujours aussi résolument.
Phryné a retrouvé le lieu de sa création en version de concert. A quand une mise en scène ? Le bref chef-d’œuvre de Saint-Saëns fournirait matière à une alléchante soirée si l’on s’avisait de le coupler avec l’un de ces un-acte dont le répertoire regorge.
 
Quant à Hervé Niquet, on le retrouve dès le 29 juin au théâtre des Champs-Elysées, avec l’Orchestre de Chambre de Paris, pour la soirée de clôture du 9e Festival Bru Zane dans un programme de mélodies avec orchestre confiées aux voix de Véronique Gens, Hélène Guilmette, Julien Dran et Tassis Christoyannis.  
 
Alain Cochard