Journal
Picardie - Compte-rendu : Giovanni Gabrieli revisité
Dès le début du XVIème siècle, la qualité musicale des services religieux a fasciné les voyageurs étrangers qui séjournaient à Venise, « gloire du monde ». Et, tout particulièrement à Saint-Marc, où Albert Dürer s’extasia un jour sur la beauté des violons de la basilique, « dont le jeu vous tire des larmes ».
Plus avant dans le temps, et avec l’arrivée du Flamand Willaert à la tête de la chapelle marcienne en 1527, les célébrations vont encore gagner en luxe sonore et en dynamique, confortées par la technique de la polychoralité, née de la disposition des lieux, où 2 tribunes d’orgue se font face.
Attentif à cette spatialité, le 21ème Festival de Picardie vient de réveiller en la cathédrale de Noyon – modèle d’art gothique et écrin acoustique bienvenu en l’occurrence – la Festa di San Rocco de 1608, cérémonie dont le très enthousiaste Anglais Thomas Coryat nous a laissé un compte rendu détaillé dans son journal de route (« une musique si rare, si délectable, si excellente, qu’on se serait cru transporté au 3ème ciel ! »).
C’est au double collectif de la Capella Ducale (pour les voix) et de Musica Fiata (pour les instruments) qu’était confiée la reconstitution de l’événement, en fait donné peut-être à l’origine en l’église dei Frari voisine de la Scuola San Rocco (les Scuole étaient à Venise des institutions charitables, surtout goûtées pour leurs concerts privés).
A l’époque, la figure musicale dominante de la République est Giovanni Gabrieli, le neveu d’Andrea (mort en 1586). Giovanni, formé par son oncle, occupe la charge de 1er organiste à Saint-Marc ; un poste qui éclipse alors en notoriété la charge de maître de chapelle et attire de nombreux étudiants, séduits par la forte personnalité de l’intéressé. Au point qu’on peut parler d’un atelier Gabrieli à la dimension européenne (Heinrich Schütz, entre autres, fut son élève préféré, de 1609 à 1612).
En tout cas, puisant dans les imposants recueils du Vénitien (Symphonies Sacrées, Sonates, Concerti, Canzoni, etc. …), Roland Wilson (photo) et ses musiciens – venus pour la plupart d’Allemagne – ont brossé la plus vivante des évocations de cet âge d’or polychoral, symbole de la « différence » adriatique dans le concert du temps.
Sur le chemin d’un son « d’époque » à retrouver – la prudence restant de mise en ce domaine – le maître d’œuvre proposait une programmation qui tournait à l’état des lieux, à la fois inventaire et parcours musicologique.
Certes, dans la ferveur de l’exhumation, les rutilances de l’instrumentarium – relevé des traits opulents des cornetti et trombones – l’emportaient sur les couleurs du concert vocal qui préférait la justesse d’intonation et d’accents à l’éclat virtuose. Mais l’essentiel était ailleurs : dans l’impression presque palpable d’un style baroque en train de naître, faisant de l’auteur un « passeur » majeur entre Renaissance et modernité. Et l’on louera à cet égard les intuitions de Roland Wilson, imagier imparable dans les grandes machines « représentatives », tel le très fastueux Magnificat à 33 parties (!), réparties en 7 chœurs, ou le Buccinate in Neomenia à 19 parties, regroupées en 4 chœurs, la conclusion étant demandée – en écho au concert de 1608 – à une Ciaconna pour 2 chitarroni (théorbes) joliment intimiste de Piccinini, astre mineur, mais plein de charme, dans le ciel foisonnant du premier Seicento.
Roger Tellart
Festival des Cathédrales de Picardie, 13 septembre 2008
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