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Pierre Bleuse dirige l’Ensemble Intercontemporain et l’Orchestre du Conservatoire de Paris – Varèse rayonne – Compte-rendu
La musique d’Edgard Varèse est une montagne. Pas née de rien, non : on y entend bien souvent que Stravinsky notamment est passé par là. Mais il n’empêche : le surgissement de son œuvre a bousculé pour longtemps le paysage musical. C’est une montagne, c’est un volcan : une musique éruptive, où à chaque page mille idées jaillissent. Traverser une grande partie du corpus varésien, comme le propose Pierre Bleuse pour ce concert, est une expérience musicale extraordinaire et le premier mérite de cette initiative est la programmation elle-même. Pas de mise en regard avec les influences évidentes – Stravinsky, on l’a dit, mais aussi Debussy ou Busoni – comme l’avait fait Kent Nagano avec l’Orchestre national de France... en 1992, la dernière fois, semble-t-il, que l’on a entendu autant d’œuvres du compositeur à Paris. Cette fois, Pierre Bleuse ne donne à entendre que la musique de Varèse – et en lira même quelques mots, qui soulignent l’intention visionnaire du compositeur – sans céder à la tentation de l’exhaustivité. Il « manque » ainsi Hyperprism ou Déserts mais c’est un choix judicieux, d’un point de vue logistique, musical et dramaturgique.
Jubilation du son
Le parcours choisi par le directeur musical de l’Ensemble Intercontemporain pour aborder le massif varésien débute par Ionisation, emblématique partition pour percussions seules. D’emblée, Pierre Bleuse donne le ton : il dirige les forces assemblées des solistes de l’EIC et des musiciens de l’Orchestre du Conservatoire de Paris avec une grande précision, mais surtout avec un balancement, une rondeur, une jubilation du son. Près d’un siècle après la création de l’œuvre à New York, ce ne sont plus le rythme et la stupeur qui dominent, mais bien les timbres et l’envoûtement sonore. L’interprétation de Densité 21,5 par la flûtiste Sophie Cherrier atteint le même degré d’excellence : rien de démonstratif ici, juste le son de la flûte qui explore toutes les nuances et emplit tout l’espace de la grande salle Pierre Boulez. Durant ces quatre minutes, c’est tout le public qui semble retenir son souffle pour ne suivre que celui de la pièce.
Huit puis onze instruments sont requis pour Octandre puis Intégrales (composées respectivement en 1923 et 1924). Ici encore, la direction de Pierre Bleuse fait merveille : la précision, les stridences même n’empêchent jamais le chant. Données ainsi à la suite l’une de l’autre, ces deux partitions donnent à entendre le travail du compositeur pour réaliser peu à peu ses intuitions d’une musique qui projette dans l’espace ses « rayons de son ». Jamais cette idée n’a semblé aussi bien illustrée que par l’interprétation magnifique de Pierre Bleuse, alliant la rigueur géométrique (les attaques) et la figuration de ces rayons (la résonance et, plus généralement, l’intelligence parfaite des alliages de timbre). Offrandes (1921) apparaît alors comme plus « primitive », avec son orchestration presque classique (disons qu’il y a des cordes). Cette œuvre impossible semble un collage où l’orchestre n’hésite pas à recouvrir la voix ; d’ailleurs la soprano Sarah Aristidou, à raison, ne cherche pas tant la puissance que l’articulation.
Direction lumineuse
Après l’entracte, Pierre Bleuse, cette fois avec l’Ensemble Intercontemporain et l’Orchestre du Conservatoire au grand complet, dirige successivement Arcana (1927) et Amériques (1918-1921, révisée en 1927). Ce double sommet, qui se renvoie certains motifs en écho, est un défi pour l’endurance et la concentration des musiciens, parfaitement relevé en particulier par les solistes de l’Orchestre du Conservatoire qui prennent en charge les premiers pupitres. La direction lumineuse de Pierre Bleuse rend ses musiciens infaillibles, qu’il s’agisse de révéler une myriade de détails ou de garder une vision d’ensemble. C’est sans aucun doute l’un des plus beaux concerts de l’année.
Jean-Guillaume Lebrun
Paris, Philharmonie, 10 décembre 2024
© Quentin Chevrier
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