Journal
Pinocchio de Philippe Boesmans au Festival d’Aix en Provence (création mondiale) – Et le pantin devint homme – Compte-rendu
Du Pinocchio de J. Pommerat la totalité des 23 scènes demeure, mais un dialogue-élagage entre le musicien et le dramaturge a permis d’amener la pièce aux dimensions d’un livret d’opéra, à la fois varié par la diversité des situations et d’une tonalité générale sombre, souvent cruelle – fidèle à l’esprit de Collodi. Le défi musical était de parvenir à traiter avec fluidité un argument très segmenté. Boesmans le relève de magistrale façon, avec ce langage inimitable, ancré dans la mémoire de la musique occidentale et foncièrement libre. Quel pied de nez aux raseurs de tout poil que ce lyrisme intense, ces citations (« Connais-tu le pays... » d’A. Thomas, très bien amené !) ou réminiscences parfaitement assumées, une constante préoccupation narrative aussi, que porte un ensemble instrumental aussi ramassé (14 musiciens) qu’inventivement exploité.
La place importante que Boesmans réserve à un groupe de musiciens (saxophone, accordéon, violon ; Fabrizio Cassol, Philippe Thuriot et Tcha Limberger), dans l’esprit d’un ensemble de rue tzigane, joue un rôle clef de ce point de vue, même si le sympathique trio est parfois requis dans des situations plus dramatiques (la scène de la prison).
Côté distribution, Pinocchio réalise un sans faute pour sa création mondiale. Parlé pour l’essentiel, le rôle central et unificateur du Directeur de la troupe fournit à Stéphane Degout l’occasion d’une étonnante performance, mais il endosse de façon non moins convaincante les rôles de Premier escroc, Deuxième meurtrier et Directeur de cirque. Car plusieurs chanteurs occupent divers emplois dans Pinocchio. Ainsi Vincent le Texier est-il le plus humain des pères et assume par ailleurs pleinement le traitement moqueur réservé au Maître d’école. Bien que moins sollicité par l’œuvre, Yann Beuron vise juste, lui aussi, en Deuxième escroc (savoureuse scène 7 avec son acolyte et le Pantin), en Directeur de cabaret et en Juge, tandis que Julie Boulianne se partage avec talent entre la Chanteuse de cabaret et le Mauvais élève. Seule deux voix se consacrent à un rôle unique, Chloé Briot pour un touchant et irrésistible Pantin, masque blanc céruse jusqu’à la lumineuse métamorphose de l’épilogue, et Marie-Eve Munger, Fée aux aigus stratosphériques et enchanteurs dont les apparitions ne sont que poésie. Degout, Briot, Munger : trois anciens artistes de l’Académie du Festival d’Aix ...
Marie-Eve Munger (La Fée) © Patrick Berger / artcompress
Familier du langage de Philippe Boesmans, Emilio Pomarico, à la tête des instrumentistes du somptueux Klangforum Wien, distille les timbres et déploie les lignes. Avec précision, engagement et caractère, il ajoute beaucoup à l’humanité et au charme d’une partition dont l’Opéra de Dijon aura le privilège d’accueillir la première reprise (trois représentations, distribution inchangée) en octobre prochain, avec en parallèle deux concerts plus qu’alléchants (dont l’un comprenant les Quatre chants pour franchir le seuil de Grisey par Katrien Baerts) du Klangforum Wien et Emilio Pomarico.
Alain Cochard
Reprise à l’Opéra de Dijon les 6, 8 & 10 octobre 2017 / www.opera-dijon.fr/
Photo : Stéphane Degout (Premier escroc), Chloé Briot (le Pantin) & Yann Beuron (Deuxième escroc) © Patrick Berger - artcompress
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