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Piotr Beczala au Festival de Peralada - Délicatesse et expressivité - Compte-rendu

Le Festival de Peralada aime les grandes voix et tout particulièrement celles de ténor dont les plus beaux spécimens sont chaque année mis à l'honneur : Domingo, Kraus, Alagna, Vargas et Kaufmann l'an dernier, s'y sont produits avec succès, ce qui rendait les débuts de Piotr Beczala en terre catalane très attendus.

Le programme « à l'ancienne », solidement construit pour l'occasion par l'artiste polonais, soucieux de mettre en valeur ses qualités vocales et l'étendue de son répertoire, a enthousiasmé le public venu en grand nombre dans la charmante église des Carmes. En pleine possession de ses moyens, Piotr Beczala a tout d'abord ranimé le souvenir de son aîné, Fritz Wunderlich, en attaquant son récital avec la célèbre « Adelaïde » de Beethoven, chantée d'une voix exquise, suivie par les sept premiers morceaux du Dichterliebe, fameux cycle de Schumann, conclu sur un saisissant « Ich grolle nicht » dense et charnu, au style rigoureux et enfin par quelques mélodies de Strauss à l'émission claire et aux aigus radieux, notamment ceux du puissant « Ich liebe dich ». Entre cette sélection, le ténor a judicieusement intercalé cinq courtes pièces du compositeur polonais Mieczylaw Karlowicz (1876-1909) interprétées avec le charme et la délicatesse qui font tout le prix de son instrument.

La seconde partie consacrée à l'opéra et à l'opérette a permis au chanteur de démontrer à ceux qui pouvaient encore en douter, la variété de ses registres. Après Verdi et un impressionnant « Di tu se fedele » du Ballo in maschera, techniquement imparable, Piotr Beczala s'est joliment illustré dans le Lamento de Federico de L'Arlesiana, osant même remettre au goût du jour le suavissime « Chant hindou » issu de Sadko de Rimski-Korsakov, depuis longtemps passé de mode, quasiment susurré à l'oreille des auditeurs. Si le Mario de Tosca l'a montré à cours d'imagination dans « E lucevan le stelle », son expressivité s'est révélée plus vive dans le célébrissime « Dein ist mein ganzes Hertz » de Lehar, en hommage à Richard Tauber (auquel il vient de dédier un album chez DG), ainsi que dans le rare extrait de Janek, opéra de Zelenski (1837-1921) où le naturel et la franchise des accents ont fait oublier la réserve qui privait il y a quelques années l'interprète de cette spontanéité qu'il possède aujourd'hui.

Applaudi ainsi que sa pianiste, l'excellente Kirstin Okerlund, au jeu attentif et soigné, Piotr Beczala prolongeait ce savoureux moment de musique avec deux chansons napolitaines et surtout un superlatif « Ah ! lève-toi, soleil » de Roméo et Juliette, lumineux, juvénile et à l’aigu inépuisable, sur lequel l'ombre de Nicolaï Gedda, autre aîné de choix, planait, tel un signe bienveillant. Prochains rendez-vous avec ce beau ténor, Eugène Onéguine au Met à la rentrée, Traviata à Milan pour l'ouverture de la saison 2013-2014 et La Bohème à la Bastille en mars et avril prochains.

François Lesueur

Peralada (Espagne), église des Carmes – 5 août 2013

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Photo : © Kurt Pinter
 

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