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To the Point(e) par les Ballets de Monte-Carlo – Un étrange voyage dans la danse – Compte-rendu
Soirée dérangeante que ce triolet de pièces proposées sous le titre ambivalent que Jean Christophe Maillot leur a donné : on sait l’habileté du chorégraphe et maître du ballet monégasque pour jouer avec les mots autant qu’avec les corps. Ici, il fait s’enchaîner en d’étonnants contrastes les univers multiples que ses danseurs peuvent évoquer. Ce To the Point(e) peut désigner la pointe classique, mode d’expression auquel il se veut intensément fidèle, mais aussi ce qu’on peut en tirer, vers un extrême de l’idéal, vers un sommet de souffrance ou de joie. Bref, un point de non retour vers la réalité terrestre lorsque la danse ne la sublime pas.
Trois personnalités majeures du tableau chorégraphique contemporain ont donc été confrontées, portées par la même troupe de danseurs, dont la nécessité de faire autrement à chaque fois était telle qu’on se demandait s’il s’agissait de la même compagnie, car de Christopher Wheeldon à Maillot lui-même en passant par la sombre Sharon Eyal, l’écart est géant.
Within the Golden Hour (chor. C. Wheeldon) © Alice Blangero
Vitaminé et bienfaisant
Avec Within the Golden Hour, du charmeur Wheeldon, l’une des stars de la chorégraphie anglo-saxonne, nous voici d’emblée dans un scintillement d’élégantes tuniques signées Jasper Conran, de visages souriants, de grâce ludique, qui porte la marque d’une fraîcheur à rapprocher de celle d’un Balanchine, dans ses ballets de séduction. Courses légères, clins d’œil piquants, jambes lancées comme dans un jeu, enchaînements qui ne se veulent que vitaminés, divertissants : on se dit qu’il n’y a pas de trame dans cette succession de performances gracieuses, mais que les broderies, même si elles ne reposent sur aucune trame, sont bienfaisantes, d’autant que les danseurs monégasques, tous excellents et parmi lesquels on a envie de citer la formidable Lou Beyne avec son partenaire Jérôme Tisserand, y prennent un plaisir évident. Tandis que les musiques d’Ezio Bosso et Vivaldi s’entremêlent.
Autodance (chor. Sharon Eyal) © Alice Blangero
Descente aux abîmes de l’être
Une coupe de champagne apéritive, avant de plonger dans le noir charbon d’Autodance (photo), conçu par Sharon Eyal et son coéquipier Gai Behar. Tout ce que fait la chorégraphe israélienne distille une profonde angoisse, un désir primal de creuser les messages du corps dans ce qu’il peut avoir de plus sombre, de plus tragique. Créée en 2018 à Göteborg sur une partition d’Ori Lichtik, sa pièce présente pour originalité majeure de se dérouler entièrement sur demi-pointes, avec des silhouettes torturées, contorsionnées, en parallèle avec une fine jeune femme qui se promène l’air de rien. Une souffrance que l’on devine considérable pour les danseurs, sans doute cause de méchantes crampes, et qui ne parvient jamais à les élever à la fameuse pointe évoquée par le spectacle. Solitaires jusqu’à la moelle dans leur désir de s’explorer, ils font penser, en plus dynamique, à certains tableaux du terrible buto japonais, et offrent une descente aux abîmes de l’être, bien loin du fringant Wheeldon, qui les a précédés. Voilà une chorégraphe qui crie son mal être, et que l’on a envie d’aimer.
Vers un pays sage (J.-C. Maillot) © Alice Blangero
Frénésie passionnée
Puis l’envol, et vers un absolu sommet, car Maillot, qui sait si bien raconter des histoires, se coupe ici du narratif pour plonger dans une émotion fertile et jouissive, pourtant reliée à une grande douleur, celle de la mort de son père, le grand plasticien Jean Maillot, dont la dernière image du ballet reprend un tableau : Vers un pays sage a déjà abondamment fait ses preuves, depuis sa création en 1995, et le revoir est toujours un émerveillement car la vie donnée par les interprètes d’aujourd’hui, lui apporte un souffle supplémentaire. On y savoure ses extraordinaires portés tourbillonnants – retrouvés dans sa Mégère apprivoisée – ses échanges complices entre jeunes bouillonnants qui ne se posent aucune question, et foncent dans les étreintes amoureuses, les bondissements dans un état d’ivresse, juste pour le plaisir de et de gambader. Une virtuosité, une frénésie passionnée qui n’ont rien de gratuit, car chaque pirouette emmène dans un sillon enchanté, non dans une performance inutilement démonstrative: avant que le calme se fasse autour du tableau paternel, dans lequel le couple final se dissout, tout en pastel, et qu’il ne reste qu’un souvenir, celui du meilleur. On l’a dit, un chef-d’œuvre parmi la masse de créations de Jean-Christophe Maillot. Juliette Klein y brille particulièrement, mais là aussi, tous glissent souplement comme dans un paysage enneigé, tandis que l’irrésistible musique de John Adams, Fearful Symmetries, battue avec entrain par le chef Garrett Keast à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Monte Carlo, mène le jeu.
Jacqueline Thuilleux
To the Point(e) - Monte-Carlo, Grimaldi Forum, 24 avril ; prochaines représentations, les 27 et 28 avril 2024 // www.balletsdemontecarlo.com
Photo (Autodance ) © Alice Blangero
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