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Poppea e Nerone de Monterverdi/Boesmans à Montpellier - Onirisme et puissance politique - Compte-rendu
Le destin du mélomane est parfois fait d’étranges pieds de nez. Si le Poppea e Nerone mis en scène par Krzysztof Warlikowski nous avait laissé dubitatif à Madrid, la reprise de la production à Montpellier se révèle autrement convaincante. Autres lieux, autres humeurs. Certes. Mais aussi autres interprètes. Pourtant, Antonio Abete n’est pas Willard White. Son Sénèque solide mais un peu grisâtre n’a pas le charisme de son prédécesseur madrilène – la leçon de philosophie en prologue s’en ressent. L’Orchestre national de Montpellier n’est pas le Klangforum Wien, pour lequel Philippe Boesmans avait spécifiquement conçu sa réorchestration du Couronnement de Poppée (une commande de Gerard Mortier pour La Monnaie en 1989). Et pourtant, la direction de Peter Tilling révèle avec une extraordinaire précision l’onirisme webernien qui se dégage du travail de Boesmans.
A la frénésie théâtrale du Seicento, se substitue un éclairage savoureux et impertinent posé sur les ressorts de l’ouvrage de Monteverdi. Docte et drôle, cette mise en valeur de la continuité thématique qui innerve la partition invite à une délicieuse expérience, que l’on déguste parfois indolemment, bercé par l’étirement des tempi.
C’est que sous les pinceaux de Krzysztof Warlikowski et Malgorzata Szczesniak l’insolence divertissante des aventures de Poppée et Néron s’est muée en réflexion politique et morale authentiquement théâtrale, sans jamais céder à la démagogie – signe sans doute de la maturité du tandem polonais. Le destin des ces héros antiques éclaire ainsi le nôtre, et le chaos issu des désordres de l’empereur romain s’apparente au chaos de l’ordre nazi, suggéré par un monumental décor années 30.
Côté solistes, on retiendra l’Octavie lyrique de Gemma Coma-Alabert ainsi que la Drusilla fruitée de Clémence Tilquin. En dépit de quelques inégalités, Marie-Adeline Henry incarne une séduisante Poppée. Caricature de Charles Castronovo, le Néron madrilène, Leonardo Capalbo force souvent la voix. Stylé, Jakob Huppmann manque toutefois d’énergie en Othon, et Hannah Esther Minutillo est un discret Valetto. Karen Vourc’h pétille en Fortune et Damoiselle, tandis que Micaëla Oeste convainc davantage en Pallas qu’en Vertu. Thomas Bettinger, également Liberto, se distingue par son Lucain vigoureux. Arnalta un peu sage de Robert Burt et brouillonne Nourrice de Jadwiga Rappe.
Gilles Charlassier
Monteverdi/Boesmans : Poppea e Nerone – Montpellier, Le Corum, 15 mai 2013
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Photo : Marc Ginot / Opéra national de Montpellier
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