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Portrait de compositeur - Joseph Haydn (1) - Haydn et l’ascenseur
Ils furent relativement nombreux les grands esprits du XVIIIe qui, nés dans la roture, n’en piquèrent pas moins la curiosité des rois. Hors celle de notre Diderot, y eut-il jamais ascension plus vertigineuse que celle de Joseph Haydn ? On peut en douter.
Il naît en 1732, fils du charron d’un village de Basse Autriche passablement crotté. Son père s’escrime sur des instruments rudimentaires, lui s’en ira chanter à la messe. C’est là que le nobliau local remarque sa voix, lui pressent quelques dons et lui fait inculquer les rudiments avant de le propulser, enfant de choeur, à rien moins que Saint Etienne, la grande cathédrale au coeur de Vienne. Un certain Vivaldi, rompant avec sa Venise natale, venait d’y mourir, dans l’oubli et la misère. Comme Vivaldi était un homme d’Eglise, Saint Etienne consentit un enterrement minimal... Il est très possible que, sans le savoir, le petit Haydn, âgé de neuf ans, ait chanté l’office funèbre d’un des compositeurs naguère les plus célèbres d’Occident ! Adolescent, il perdit sa voix céleste et cette catastrophe fit envisager, paraît-il, d’enrayer, chirurgicalement, une évolution aussi funeste. Prévenu à temps, c’est son père qui aurait évité de justesse que Joseph Haydn s’immortalisât comme castrat...
Les années de galère
Ne plus chanter ! Dès lors jouer, dans les rues. Donner la sérénade, se faire embaucher par les riches qui organisaient des bals... Années de galère au cours desquelles il travaille aussi pour un théâtre. Il songe même à épouser la fille du Patron mais celui-ci préfère lui imposer la plus difficile à caser de ses filles... Rapidement, cette Maria Keller devint une virago qui empoisonnera toute la maturité du musicien... Autre mésaventure : être tapeur auprès de Nicola Porpora, napolitain, aventurier de la musique qui, après avoir tenté de succéder à Vivaldi, à Venise, s’en était venu, à Vienne, enseigner le chant. C’est ainsi que Haydn se familiarisa avec les tournures les plus vigoureuses de la langue italienne...
Depuis les années de Saint Etienne, on se persuade que Haydn, en autodidacte, avait parfait sa formation théorique, potassant le Gradus ad Parnassum de Fux et travaillant les Sonates de Carl Philipp Emmanuel Bach... Il a vingt-cinq ans lorsqu’en tant que compositeur, il entre au service du Baron Fürnberg qui, faisant promptement banqueroute, va recommander ses talents au Comte Morzin, descendant des dédicataires des Quatre Saisons de Vivaldi. Et il y a bien d’autres recueils du Vénitien dans la bibliothèque ! L’explosion soudaine du génie haydnien n’est sans doute pas étrangère à l’exemple proposé par les musiques du Prêtre Roux : naissent alors quelques Symphonies, si singulières, si éloquentes qu’elles retiennent l’attention d’un visiteur de marque : le Prince Paul-Anton Esterhazy. Lorsque Morzin doit, à son tour, se priver de ses musiciens, Haydn se voit immédiatement proposer (1er mai 1761) un contrat des plus rassurants par l’une des familles les plus puissantes d’Europe. Il a vingt-neuf ans.
Au service de Nicolas « le Magnifique »
L’a-t-on assez répété ? Haydn porte la livrée et sera mis au même rang que les autres serviteurs de la cour. Principes de l’Ancien Régime : Haydn est un roturier et même si des visiteurs de plus en plus nombreux viennent goûter sa musique sur place, jamais, semble-t-il, il ne fut invité à la table des Maîtres. Même au plus rayonnant du règne de Nicolas dit “le Magnifique” (qui, dès 1762, avait succédé à son frère à la tête de la dynastie), Haydn, d’ores et déjà célébré dans l’Europe entière, resta dans la coulisse.
Nicolas Esterhazy voua, pourtant, à son maître de chapelle, une admiration sans partage. Conscient que la tutelle d’un génie de cette envergure contribuerait au prestige de sa Maison, Esterhazy l’encouragea à diffuser sa musique par tous les moyens. La copie surtout mais, bientôt, les plus grands éditeurs d’Europe rivalisèrent pour imprimer les partitions nouvelles du “maître d’Estoras”. Car Nicolas Esterhazy était insatiable et Haydn fut amené à aborder tous les genres, du lied à la symphonie en passant par la sonate, l’opéra, le quatuor, l’oratorio, la Messe, la cantate etc. Tout ce qui s’éditait (ou circulait à l’état de copie) dans l’Europe entière était, de même, acheminé vers Estoras où Haydn triait et dirigeait l’exécution de tout ce qui offrait quelque intérêt, de Tartini à Mozart !
Forcé d’être original
On a dit qu’il était le père du quatuor et de la symphonie. Précisons que le siècle tout entier évoluait vers ces formes destinées à être fondamentales. Ce qui est certain, c’est que, par son inventivité constante et son soin des détails, Haydn dota ces genres de leurs premiers chefs- d’oeuvre et que la qualité confondante de tout ce qu’il y produisit imposa ces formes définitivement. Dès lors, le mérite de Nicolas Esterhazy fut d’apprécier et d’encourager les hardiesses et les trouvailles incessantes d’un musicien qui pourra écrire, plus tard : « je pouvais me livrer à toutes les expériences, à toutes les audaces. Coupé du monde, je n’avais personne pour m’importuner et je fus forcé d’être original ». Sollicité depuis Naples, Cadix ou Paris, Haydn allait devenir, pour les anglais « le Shakespeare de la musique et le triomphe de l’âge dans lequel nous vivons ». On envisagea même de l’enlever pour lui offrir, à Londres, le statut social qu’il méritait !
Le sacre londonien
Ainsi, lorsqu’après vingt-neuf ans de quasi réclusion, la mort de Nicolas Esterhazy (septembre 1790) le libéra (son successeur ne s’intéressant pas à la musique), Haydn fut promptement embauché par un impresario anglais qui, dès janvier 1791, put lui offrir, à Londres, un prestige auquel il n’aurait jamais osé rêver. En Grande Bretagne (le premier voyage de sa vie, il a cinquante huit ans), malgré son anglais rudimentaire, Haydn fréquenta aussi bien des banquiers que d’illustres médecins. De grands peintres font son portrait, l’astronome Herschel lui fait admirer les “espaces infinis” qu’il suggérera si bien dans La Création. D’origine Hambourgeoise, le Roi Georges III voudra très vite l’avoir à sa table, amitié réelle, période d’euphorie assombrie pourtant par la mort de Mozart que Haydn, admiratif, aurait voulu promouvoir dans son sillage. Après dix-huit mois, il aura le mal du pays et, malgré les triomphes et la richesse, il préféra rentrer à Vienne, s’installant dans la ravissante maison que l’on visite aujourd’hui. C’est là qu’il accueillit un élève passablement difficile : Ludwig van Beethoven.
Après un second séjour londonien, tout aussi triomphal, il abandonnera petit à petit ses activités, ne se consacrant plus qu’à la musique religieuse, au quatuor et à deux oratorios : La Création puis Les Saisons. Entreprenant un 83e Quatuor, il l’abandonnera, en 1803, après deux mouvements, constatant simplement : « Hin ist meine Kraft » (“ma force a fui”). Six ans durant, Haydn végéta sereinement puis il s’éteignit, sans tapage, durant l’occupation de Vienne par les français, le 31 mai 1809... Napoléon (qui avait échappé à un attentat alors qu’il se rendait à la première audition parisienne de La Création) fit rendre les honneurs à sa dépouille.
Marcel Marnat
Photo : DR
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