Journal
Radu Lupu / Génération @ Aix au 1er Festival de Pâques d’Aix - Miracle schubertien - Compte-rendu
Curieux spectacle que ces mélomanes emmitouflés marchant en direction du Théâtre du Jeu de Paume ou du Grand Théâtre ; Aix-en-Provence nous a habitué à des festivaliers en tenues plus légères ! Le printemps n’est pas au rendez-vous ce 4 avril, mais le public a répondu présent, nombreux, pour deux concerts du 1er Festival de Pâques. Deux jours avant la venue de l’Orchestre du Théâtre Mariinsky et de Valery Gergiev, l’intimisme domine avec d’abord un programme chambriste inscrit dans la série Génération @ Aix, dont le principe est de mêler des artistes de diverses générations. Ainsi trouve-t-on Renaud Capuçon - le directeur artistique du Festival de Pâques - , aussi bien que Nicholas Angelich, Edgard Moreau ou Gérard Caussé sur la scène du Théâtre du Jeu de Paume, lieu idoine pour un moment entièrement brahmsien.
Valeriy Sokolov, Léa Hennino, Yan Levionnois et Nicholas Angelich sont d’abord réunis dans le Quatuor n°3 avec piano. On ne résiste par à leur belle entente, à la justesse du ton. Secret et avec la pointe d’âpreté qu’il requiert, l’Allegro non troppo nous entraîne dans une interprétation très dense, pleine de couleurs, de mystère aussi. Le piano d’Angelich se révèle parfait de présence active mais jamais envahissante (quelle extraordinaire manière de conjuguer mobilité, légèreté du toucher et plénitude du timbre dans le Scherzo !) tout au long d’un fervent Opus 60.
De ferveur le Sextuor à cordes n°1 op.18 n’en manque pas non plus sous les archets de Renaud Capuçon, Valeriy Sokolov, Gérard Caussé, Léa Hennino, Edgar Moreau et Yan Levionnois. Aucun des protagonistes ne renonce à être lui-même ici, mais la cohérence et la clarté du propos dominent un discours lumineux, porté par la généreuse respiration unissant six individualités. Les applaudissements nourris auraient sûrement duré plus longtemps s’il n’avait fallu sans trop tarder rejoindre le Grand Théâtre de Provence où Radu Lupu attendait son public.
Récital entièrement schubertien, autant dire que l’artiste est en son jardin. On y pénètre avec les Seize Danses allemandes op 33/ D 783 dont les maillons, toujours parfaitement caractérisés, s’enchaînent avec un naturel confondant. Suivent les Quatre Impromptus op 142 / D 935. S’agit-il encore de piano, en vient-on à se demander, tant les marteaux, la mécanique paraissent abolis. Les notes semblent non pas frappées mais amoureusement sollicitées, invitées par les mains d’un poète pianiste qui ne pense qu’au chant avec un fabuleux art du legato et une palette de couleurs incroyablement nuancée.
Pendant l’entracte, on bout d’impatience d’entendre la Sonate D. 960 qui occupe la seconde partie. La Si bémol majeur selon le Roumain invite à un pur miracle de musique, de totale symbiose entre un interprète et l’esprit d’une œuvre Dernière sonate ? Le pianiste se garde de toute dramatisation testamentaire. Résignation confiante, confiance résignée ? Comme on voudra, c’est en tout cas plutôt sous ce jour qu’il envisage la Sonate D. 960. Son jeu ne force jamais la voix, murmure souvent et, de la plus simple et humaine façon, conduit l’auditeur dans les méandres d’un fascinant rêve intérieur – inoubliable trio du Scherzo, d’une surnaturelle apesanteur. Heureux public aixois qui avait rendez-vous avec un Lupu des très grands soirs…
Alain Cochard
Aix-en-Provence, Théâtre du Jeu de Paume, Grand Théâtre de Provence, 4 avril 2013
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Photo : DR
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