Journal
Récital Anna Netrebko / Met Stars Live in Concert (Streaming) – Prière de laisser les éléphants au vestiaire - Compte-rendu
Il y a quelques années, se plaignant de la grisaille de plus d’une mise en scène « moderne », Anna Netrebko réclamait « de l’or et des éléphants » sur les scènes d’opéra. Même Zeffirelli ne put avoir les pachydermes qu’il réclamait pour inaugurer le nouveau Met avec Antony and Cleopatra de Barber. Pour le récital offert en streaming dans le cadre des concerts « Met Stars », la soprano russe doit renoncer à son goût pour le faste puisque le programme est avant tout centré sur l’univers de la mélodie, magasin de porcelaine où les éléphants n’ont pas leur place, on le sait.
C’est dans le cadre inattendu de l’Ecole espagnole de Vienne que se déroule le concert, Anna Netrebko et son pianiste étant juchés au sommet d’une sorte d’arc de triomphe qui permettrait même aux chevaux d’évoluer à leurs pieds sans les déranger. L’acoustique semble étrange car, dès que la chanteuse s’éloigne de plus d’un mètre du piano, le son se perd dans une sorte de réverbération de cathédrale. Dans ce décor, le thème annoncé, d’une originalité très relative, est « Du jour à la nuit » : malgré deux entractes (sur 1h25 de concert) occupés par des vidéos du Met, la soprano ne changera pas de tenue puisque sa robe, noire avec un pan de la jupe blanc pailleté, se prête à l’évocation de la lumière comme des ténèbres. Seul l’éclairage de la salle passe au bleu nuit dès la deuxième partie.
Pavel Nebolsin © Timur Artamonov
Cette soirée de mélodies est l’occasion de vérifier si l’on peut à la fois chanter Turandot et rester crédible dans l’univers du récital. De fait, dans le bouquet de pages signées Rachmaninov, Tchaïkovski ou Rimski-Korsakov, Anna Netrebko se montre sous son meilleur jour. Après trois mélodies paisibles, voir extatique, tour de chauffe qu’elle susurre en restreignant sa voix à un filet, la soprano aborde bientôt des compositions plus tourmentées, plus dramatiques. Même quand Tchaïkovski lui permet dans ses mélodies de s’exclamer « L’amour, l’amour ! » ou « Ô bonheur, ô larmes ! », elle trouve le ton naturel, le juste équilibre entre la pudeur nécessaire et l’extériorisation opératique.
On n’en dira pas tout à fait autant de ses incursions dans d’autres répertoires. Même si elle déclare ne pas aimer chanter en allemand, même si son enregistrement des Quatre Derniers Lieder n’a pas fait que des admirateurs, la soprano inscrit à son programme trois mélodies de Richard Strauss parmi les plus célèbres : on y salue un louable effort d’articulation, preuve que la Netrebko ne se fie pas uniquement à la séduction de son timbre capiteux. « Mattinata » de Leoncavallo lui permet de chanter à pleins poumons et de succomber à la tentation de l’opéra.
Anna Netrebko chante aussi trois pages en français, et là, le compte n’y est pas. Pour Debussy (« Il pleure sur mon cœur »), les voyelles ne sont pas les bonnes, les consonnes un peu escamotées, et les mimiques de diva dont tout le concert est émaillé sont particulièrement hors de propos. Que vient faire « Depuis le jour » dans un récital de mélodies ? On se rappelle que la soprano l’avait chanté aux Victoires de la Musique 2020, et l’on retrouve cette impression de volupté flottante et molle, pleine de glissandi d’un goût douteux. Louise n’a rien d’une vamp, mais la Netrebko se lâche, savonnant allègrement les quelques notes d’ornement.
Tout comme Joan Sutherland avait Huguette Tourangeau, Netrebko a Elena Maximova. Avec la mezzo, elle chante le duo de La Dame de Pique, extrait bien plus justifié que celui de Louise, car c’est explicitement une mélodie insérée dans l’opéra. Pour faire revenir madame Maximova et offrir une « sucette » au public, tout en restant dans le thème de la nuit, la Barcarolle des Contes d’Hoffmann semble un passage obligé, ici avec masques vénitiens en prime, mais toujours avec une prononciation déficiente : les mots « versez-nous » y deviennent ainsi trois notes floues sans consonne aucune.
Le répertoire russe occupe une place très réduite dans l’agenda d’Anna Netrebko : c’est dommage car, surtout lorsqu’elle est accompagnée par un pianiste aussi sensible que Pavel Nebolsin (serait-il parent du chef Vassili Nebolsin ?), ce concert montre qu’elle sait y faire preuve d’un raffinement qui emporte l’adhésion.
Prochain rendez-vous de la série Met Stars le 27 février avec Sonya Yoncheva.
Laurent Bury
Vienne, Ecole espagnole d’équitation, 6 février 2021 // Programme détaillé et replay (payant) : metstarslive.brightcove-services.com/events/6168654223001
Photo © metstarsliveinconcert
Derniers articles
-
21 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX
-
19 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX
-
17 Décembre 2024Alain COCHARD