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Reims - Compte-rendu - Ciofi, sphinx étonnant
Elle en aura eu des visages et des voix cette Manon de Massenet, des placides (Vaduva), des pulpeuses (Fleming), des langoureuses (Gheorghiu), des distinguées (de Los Angeles), des glamours (Netrebko), des volcaniques (Sills) ; la dernière en date a les traits et le timbre de Patrizia Ciofi, qui a justement attendu avant de s'attaquer à ce sommet de l'opéra français.
Quelques semaines après Avignon où la production a été créée, la soprano italienne retrouvait l'insaisissable Manon à Reims, avec la même équipe menée par Nadine Duffaut. Saluons d'emblée le français devenu remarquable de la cantatrice, élément essentiel pour la qualité d'un spectacle où l'importance du mot compte pour une grande part. Après Robert le diable, Les contes d'Hoffmann, Lucie de Lammermoor, Benvenuto Cellini, Chérubin (Massenet déjà), ou La fille du régiment et avant Hamlet et Roméo et Juliette, cette nouvelle incursion dans le répertoire français bénéficie d'efforts continus, qui ont porté leurs fruits. Sa silhouette juvénile rehaussée par de forts jolis costumes (Katia Duflot) lui permet de passer allègrement de l'insouciance (sa rencontre avec Des Grieux), aux calculs (son double-jeu avec de Brétigny), de la coquette capricieuse et entretenue (Cours-la-Reine) à l'amoureuse repentie (dernier acte), avec une constante justesse de jeu.
Son personnage est construit avec une grande cohérence dramatique, sans effet, ni facilité, sa transformation physique et psychologique s'appuyant sur une évolution vocale permanente et judicieuse. Si l'auberge d'Amiens "Voyons Manon plus de chimères "et Saint-Sulpice "N'est-ce plus ma main", la montrent à son meilleur, en tout cas là où sa matière vocale est le plus en valeur (aucun Des Grieux ne pourrait résister à de pareils appels), elle sait émouvoir avec une "Petite table" merveilleusement dosée, éviter l'ennui au Cours-la-Reine mené avec abattage, s'imposer à l'Hôtel de Transylvanie et y faire valoir son aigu, avant de remporter le morceau avec une mort bouleversante de délicatesse et de réalisme. Voilà bien une Manon qui transforme un galop d'essai en premier prix.
A ses côtés, Florian Laconi campe lui aussi une Des Grieux crédible qui, à la différence de bien des ténors plus chevronnés, mal dans leur corps et dans leur costumes, joue sobrement et évite les attitudes compassées. Vocalement généreux, notamment dans l'aigu qu'il n'a pas peur de dispenser, mais dans lesquels on perçoit un métal qu'il conviendrait d'adoucir, son portrait à la fois fougueux et sensible s'accorde à celui de son exigeante partenaire.
La distribution en grande partie francophone réunit un très honorable Lescaut (Olivier Heyte), un louable de Brétigny (Sergeï Stilmachenko), un perfide et sonore Guillot (Christophe Mortagne), un autoritaire Comte des Grieux (Marcel Vanaud), trois coquettes entreprenantes et musiciennes (Caroline Mutel/Poussette, Sophie Haudebourg/Javotte et Clémentine Margaine/Rosette), conduite avec vitalité par Vincent Barthe à la tête d'un Orchestre du Grand Théâtre de Reims parfois débordé, mais plutôt discipliné.
Classique et soignée, la mise en scène de Nadine Duffaut respecte à la lettre le livret de Henri Meilhac et Philippe Gille d'après l'Abbé Prévost. Lourds et beaux décors XVIIIe dans des harmonies de gris (Emmanuelle Favre), atmosphères intimistes à la Greuze et scènes des foules évoquant Watteau, le spectacle est à la recherche de lisibilité et de fluidité, avec une surprise au dernier tableau ; en lieu et place de la route menant au Havre, un intérieur dévasté, ouvert à tous les vents et, occupant l’espace, l’immense lustre de cristal qui éclairait précédemment la salle de jeux, comme échoué, pour exprimer la déchéance de l’héroïne.
François Lesueur
Massenet : Manon, Grand-Théâtre de Reims, 8 mars 2009
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Photo : DR
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