Quatre ans après Angèle et Tony, premier long-métrage remarqué, Alix Delaporte (photo à dr.) retrouve Clotilde Hesme et Grégory Gadebois (photo au ctre), deux acteurs distingués par les Césars 2012(1), dans un contexte bien différent. De Port-en-Bessin et du monde de la pêche, on passe à Montpellier et à celui de l’Orchestre symphonique avec Le Dernier Coup de marteau.
 
Un film autour d’un chef d’orchestre ? Sans doute, mais ce n’était pas l’idée première d’Alix Delaporte. «Ce film est le résultat de tout un cheminement, explique-t-elle. J’ai d’abord songé à un fils à la recherche son père. Qui dit père dit métier. L’idée d’un père chef d’orchestre s’est un jour imposée à moi. Je ne cherche pas trop à analyser ce choix, mais il s’est à un moment imposé comme une évidence. Je ne connais pas grand chose à la musique classique, avoue avec beaucoup d’honnêteté la réalisatrice, mais je sais que c’est un domaine où je peux trouver de la beauté.
 
« Je savais que ça devrait se passer pendant les répétitions, il fallait donc choisir une œuvre ». En se documentant sur les chefs d’orchestre, Alix Delaporte découvre l’histoire de Mahler reconnaissant a posteriori les signes prémonitoires de la dramatique année 1907 dans les trois coups de marteau du finale de sa Symphonie n° 6 (1903-1904). Elle a trouvé la partition qui occupera les répétitions– et le titre de son film !
 
Reste pour elle à entreprendre ce que le gamin fera dans le film : «pousser la porte de la salle de répétition avec un regard d’enfant, de novice », pour faire entrer les spectateurs dans un monde que, pour la plupart, ils ne connaissent pas.
 
Outre la pudeur et la justesse avec laquelle Alix Delaporte traite son sujet (Victor - remarquablement incarné par Romain Paul - 13 ans, vit avec sa mère, malade d’un cancer, près de Montpellier. A l’occasion d’un passage de Samuel à l’Orchestre de Montpellier pour une 6^ème Symphonie de Mahler, le gamin part à la rencontre de celui qu’il sait être son père… et pénètre dans le monde, totalement étranger, de la musique et de l’orchestre), on ne peut qu’être surpris par la prestation de Grégory Gadebois, et plus généralement par la crédibilité du Dernier Coup de marteau, considéré du point de vue de la relation d’un chef avec ses musiciens.
 
Journaliste-cameraman à ses débuts, Alix Delaporte, aime « explorer des choses qu’elle ne connaît pas mais en s’entourant de gens pointus. » « L’histoire a beau être d’abord celle d’un enfant qui retrouve son père, la musique occupe une place énorme. » Et la réalisatrice d’en tirer les conséquences en allant d’abord assister à des répétitions d’Alain Altinoglu au Théâtre des Champs-Elysées : « Je le regardais travailler. Je découvrais un univers très nouveau pour moi, je m’imprégnais de sensations. » Mais Alix Delaporte a voulu aller plus plus loin : « j’avais envie d’approfondir le travail entre un chef et les musiciens, probablement parce qu’il me rappelle celui que j’effectue avec les acteurs ; il s’agit de faire jouer des gens ensemble. »
 
Un peu plus tard, à New York, elle rencontre Louis Langrée, personnage clef dans la gestation du film. «J’ai passé beaucoup de temps avec lui, je lui ai raconté mes scènes en lui demandant des choses très précises : peut-on dire ça ? quel sont les mots justes pour l’exprimer ? Louis m’a énormément aidée sur les dialogues et les situations. En même temps, j’ai pris des libertés par rapport à celles-ci, en faisant monter le gamin sur la scène par exemple. »
 
De retour en France, Alix Delaporte assiste à nouveau à des répétitions d’Alain Altinoglu, à Montpellier cette fois. Le Corum où la réalisatrice a entendu son premier concert de musique classique il y a une demi-douzaine d’années à peine : la 5^ème Symphonie … de Mahler. On ne s’étonne donc pas qu’elle choisisse ce lieu pour le tournage. Pour des raisons tant de calendrier que financières il ne peut toutefois se réaliser avec l’Orchestre de Montpellier Languedoc Roussillon. Conseillée par Evgueni Galperine (qui avec son frère Sacha signe la musique originale du film), elle décide de s’orienter vers l’Orchestre de Lvov (Ukraine).
 
Les contacts avec les chefs, l’observation attentive des répétitions ont procuré à la réalisatrice des sensations qu’elle souhaite faire ressentir aux membres de son équipe son  - Eric Tisserand (mixeur), Arnaud Aulland (monteur son) et Pierre Tucat (ingénieur du son). Elle se rend à Toulouse en leur compagnie pour assister trois jours durant à des répétitions de l’Orchestre national du Capitole : la « Tragique » de Mahler est au programme sous la baguette de Tugan Sokhiev. La personnalité du jeune chef ossète les marque beaucoup, tout comme celle du premier violon invité, Sergei Litvin (venu de Covent Garden), dont les conseils seront très précieux à Alix Delaporte dans l’écriture de son scénario. 
 
C’est donc à Lvov qu’ont été enregistrés, sous la baguette d’Aidar Torybaev, les passages de la Symphonie n° 6 retenus pour le film (ils ont été utilisés en play-back pendant le tournage à Montpellier). Une bande son pour laquelle Alix Delaporte à travaillé en étroite collaboration avec le chef et compositeur Vsevolod Polonsky (photo à g. ), irremplaçable consultant musical pour l’ensemble du film. On lui doit d’avoir conseillé Grégory Gadebois en amont et tout au long du tournage. Le comédien était totalement étranger à la musique classique et à l’univers de l’orchestre en se lançant dans l’aventure du Dernier Coup de marteau  Ce qui ne rend que plus admiratif de son interprétation.
 
Alain Cochard
(Entretien avec Alix Delaporte réalisé le 4 mars 2015)
 

(1) Nominé pour le César du meilleur premier film, Angèle et Tony a valu à Clotilde Hesme le César du meilleur espoir féminin et à Grégory Gadebois celui du meilleur espoir masculin en 2012
 
Le Dernier Coup de marteau d’Alix Delaporte (en salle depuis le 11 mars 2015)
 
 
Photo : Vsevolod Polonsky (à g.), Grégory Gadebois (au centre) et Alix Delaporte (à dr.) © Jean-Claude Lother