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Rencontre avec Ulrich Haider, cor solo, et Guido Rückel, timbalier de l’Orchestre Philharmonique de Munich / Mahler-Festival Leipzig 2023
Du 11 au 29 mai Leipzig accueillait le Festival Mahler, grand événement musical européen du printemps 2023. Mahler à l’honneur à Leipzig ? Rien de plus naturel s’agissant d’un compositeur qui résida deux années dans cette ville – tellement marquée par la présence de Bach, Schumann, Mendelssohn, et quelques autres génies de la musique. Parmi les formations choisies pour donner l’intégrale des symphonies du compositeur autrichien, l’Orchestre philharmonique de Munich, placé sous la direction de Tugan Sokhiev, s’est distingué dans un programme à forte charge symbolique.
Il a en effet proposé, en compagnie de la soprano Christiane Karg, la Quatrième Symphonie, que l’orchestre a créée le 25 novembre 1901 sous la direction du compositeur, puis, avec le concours de la mezzo Ekaterina Gubanova et du ténor Andreas Schager, le Chant de la Terre, une œuvre dont la phalange assura la création sous la direction de Bruno Walter, le 20 novembre 1911, quelques mois après la mort du compositeur. Avant que ne soit interprété cet imposant programme, nous avons pu nous entretenir avec deux des membres du Philharmonique de Munich : Ulrich Haider (cor solo) et Guido Rückel (timbalier).
Ulrich Haider, quels souvenirs conservez-vous de votre entrée à l’orchestre en 1993 ?
Le directeur musical en était alors Sergiu Celibidache (1912-1996). Pour moi, ce fut particulièrement impressionnant. J’étais très jeune, j’avais 20 ans, et je me suis retrouvé subitement au sein de cet orchestre, dirigé par cet immense musicien. Il était déjà très âgé, mais gardait naturellement une très forte personnalité. Sergiu Celibidache était parfois très dur avec l’orchestre. Quand j’ai débuté, il s’était déjà un peu « assoupli ». Il avait une manière unique de nous parler musique, de créer le son, de créer la musique. Ces trois années sous sa direction ont été très inspirantes ...
© Guido Rückel © Co Merz
Guido Rückel, vous avez pour votre part rejoint les rangs de l’orchestre un peu plus tard ...
Effectivement, c’était en 1997 : j’avais 25 ans. La position du timbalier est très particulière. Nous sommes à la fois au fond de l’orchestre, et au milieu de l’orchestre. Parfois, on a l’impression d’être l’assistant du chef d’orchestre. Et souvent nous soutenons le rythme de l’orchestre, un peu comme un batteur au sein d’un orchestre de jazz.
Ulrich Haider © Co merz
Votre formation a créé les deux œuvres que vous interprétez au Festival Mahler ...
G.R. : Tout à fait. Du reste, la Quatrième Symphonie est l’œuvre par laquelle j’ai débuté au sein de l’orchestre. J’aurais adoré rencontrer Mahler, et l’interroger quant à ses conceptions du tempo, de la dynamique. C’est la première fois que nous donnons ces deux œuvres dans le même programme.
U.H. : La Quatrième Symphonie est très différente des autres. Plus courte, elle donne une certaine impression de légereté. C’est une œuvre dans laquelle nous devons jouer souvent peu fort. Elle est d’une très grande difficulté d’exécution.
Le Chant de la Terre a aussi été créé par votre orchestre, sous la direction de Bruno Walter ... Ce n’est pas rien !
G.R. : Jouer ces deux œuvres dans le même programme s’avère passionnant. Quelques années les séparent mais en même temps on trouve une telle évolution entre elles deux ! Il y a des parties dans le Chant de la Terre qui sonnent de manière particulièrment moderne. Mais il y a des liens importants entre les deux œuvres, même si l’effectif de la Quatrième Symphonie est beaucoup plus réduit que celui du Chant de la Terre. Ces partitions présentent la même relation à la voix. L’orchestre l’accompagne de manière presque chambriste, dans le dernier mouvement de la Quatrième Symphonie et dans celui du Chant de la Terre.
Nous avons auparavant évoqué la figure de Sergiu Celibidache. A compter de 2026, votre directeur musical sera Lahav Shani. Comment définiriez vous un grand chef d’orchestre ?
G.R. : C’est très difficile à définir. Il est vrai que certains chefs, quand ils nous dirigent pour la première fois, provoquent une sorte de choc. Cela nous est arrivé, justement, avec Lahav Shani. Mais il est d’autres chefs qui mettent plus de temps à s’imposer. Ils ne nous font pas une très forte impression la première fois, et finissent par développer avec l’orchestre une relation très intéressante. J’ai eu une très belle expérience avec James Levine, qui a été le directeur musical de notre orchestre de 1999 à 2004, puis avec Christian Thielemann. J’ai gardé de merveilleux souvenirs, également, de concerts placés sous la direction de Zubin Mehta. Il a longtemps été très proche de notre orchestre. J’ajoute que ma première expérience au sein d’un orchestre professionnel fut la Deuxième Symphonie de Gustav Mahler sous la direction du très regretté Claudio Abbado.
U.H. : Je précise en outre qu’il arrive qu’un chef ait une relation excellente avec un orchestre, et une relation bien moins positive avec un autre. Sans compter qu’au sein de chaque orchestre, chaque musicien a une opinion différente de l’œuvre interprétée, mais également du chef qui dirige ! Pour évoquer certains de mes grands souvenirs, la Symphonie « Résurrection » (pardonnez moi de la citer aussi !) sous la direction de Lorin Maazel, fut mémorable. J’étais à l’orchestre depuis un an, et j’avais le sentiment que ce chef tenait chaque note du bout de chacun de ses doigts.
Nous avons du reste donné l’intégrale des symphonies de Mahler sous la direction de Maazel et Mehta : une grande expérience !
Pour en revenir à la Quatrième Symphonie de Mahler, le tempo du premier mouvement paraît, à chaque interprétation, résulter d’un choix très différent ...
U.H. : Le choix du tempo est toujours très délicat. Et de plus, à l’intérieur même du mouvement, les changements de tempi sont incessants. J’ai écouté récemment une version qu’en a enregistrée Willem Mengelberg, un proche de Mahler. Ses tempi changent encore plus que ce que nous sommes habitués à faire et que ce que les orchestres font habituellement de nos jours. Compte tenu des liens de Mengelberg avec Mahler, on peut en conclure que celui-ci pouvait adopter des changements de tempi parfois inimaginables. Il semblait très libre, loin de tout académisme.
Je me souviens qu’Iván Fischer nous a dirigés dans cette œuvre. Lui aussi modifiait beaucoup les tempi dans le premier mouvement de la Quatrième Symphonie.
Propos recueillis par Frédéric Hutman le 19 mai 2023
Photo : Ulrich Haider (cor) / Guido Rückel @ Co Merz
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