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Rencontre avec... un compositeur contemporain - Johannes Maria Staud - Comment la musique vient à naître
Comment la musique vient-elle à naître : qu'est-ce qui, dans l'esprit du compositeur, fait surgir l'œuvre du silence ? Cette question essentielle, qui interroge le geste créateur à mi-chemin de l'inspiration et de la technique compositionnelle, est la première que l'on se pose à l'écoute des œuvres de Johannes Maria Staud, dont l'architecture est à la fois évidente et fascinante d'imprévu. Plusieurs de ses compositions, celles pour orchestre notamment (par exemple Apeiron, créé par Simon Rattle ou, plus récemment, Im Lichte pour deux pianos et orchestre), se caractérisent ainsi par un parcours proliférant, une dramaturgie musicale qui semble tout à la fois inexorable et pourtant surprenante : une musique de transitions, scandée par de spectaculaires climax.
Malicieusement, le compositeur autrichien dit souvent commencer ses œuvres « par le commencement » , en combinant, en entrecroisant quelques motifs, dressant ainsi comme un canevas, un peu à la manière de Morton Feldman (mais pour un résultat très différent des vastes compositions en apparence statiques du maître américain de la musique « indéterminée »). Mais, après quelques minutes de musique développées - comme induites, pourrait-on dire - à partir de l'idée initiale, l'écriture prend une direction nouvelle : « Je commence à observer, je change le point de départ de l'œuvre. Après un tiers d'une pièce, je sais comment elle va finir, mas pas avant » . Cette prise de distance, ce regard constant porté sur l'œuvre en gestation ne cesse qu'une fois la partition achevée : « j'écris toujours mes partitions à la main et le travail de calligraphie finale d'une œuvre est pour moi extrêmement important : c'est à ce moment que chacune de mes décisions est pesée une dernière fois » précise le compositeur, citant Henri Matisse pour qui une œuvre n'était véritablement achevée, après d'innombrables recommencements, qu'une fois fixée.
Ces mots de Matisse justement - « l'artiste doit voir toutes choses comme s'il les voyait pour la première fois » - définissent bien la démarche de Johannes Maria Staud, à qui rien ne répugne tant que le « copier-coller » : « si une mesure revient, même après deux cents mesures, il m'est impossible de la réécrire exactement de la même façon » . Ce serait contraire à l'idée que ce jeune compositeur se fait de la dramaturgie et de la nécessaire clarté du discours musical - une « obsession » qu'il revendique. Clarté qui, bien évidemment, n'est synonyme d'aucune simplicité, bien au contraire : pour Johannes Maria Staud, la musique apportera toujours plus d'informations que l'on n'en peut percevoir, ce qui permet, à chaque nouvelle audition, d'en découvrir de nouveaux détails. Simplement, le compositeur se doit de donner la possibilité de tout entendre.
Il y a chez ce jeune compositeur (né en 1974, il est de la génération de Bruno Mantovani) quelque chose de minutieux, une précision d'horloger dans l'orchestration qui pourrait l'apparenter à Maurice Ravel, un compositeur dont il se sent très proche : il admire ses opéras, L'Heure espagnole et surtout L'Enfant et les sortilèges, où l'humour côtoie le tragique, et considère l'orchestration des Tableaux d'une exposition de Moussorgski comme « une manière de perfection » . Mais ce souci du détail s'observe aussi bien dans ses œuvres pour instrument soliste, qu'il voit comme autant d'occasions de « conserver le contact avec l'instrument » . La série des Incipit (2000-2005) a ainsi constitué un moment de complicité créatrice avec le tromboniste Uwe Dierksen, un apprentissage du compromis entre la technique instrumentale et l'expression du compositeur.
L'œuvre que vont créer prochainement l'Ensemble Modern Orchestra et Peter Eötvös (Contrebande) relève de cette volonté du compositeur de s'imposer des défis : « il est toujours difficile de composer des miniatures pour orchestre ; tout est important, la concentration doit être permanente » . Les « six miniatures et demie » qui composent l'œuvre lui ont été inspirées par la découverte des nouvelles de Bruno Schulz (1892-1942), « un prototype de littérature expressionniste » . Dans ce programme que devait initialement diriger Pierre Boulez, elles côtoient les Cinq pièces op 16 et les Variations op 31 de Schoenberg. Pour Johannes Maria Staud, qui affirme n'être nulle part mieux pour composer que dans son appartement viennois, ce voisinage relève de l'évidence.
Jean-Guillaume Lebrun
Création de Contrebande (On Comparative Meteorology II)
Samedi 6 novembre 2010 – 20h
Salle Pleyel
Ensemble Modern Orchestra, dir. Peter Eötvös (en remplacement de Pierre Boulez)
La nouvelle version de la première partie de ce diptyque, qui n'avait pu être donnée lors de la dernière édition du festival Musica, sera reprogrammée l'an prochain à Strasbourg. Une œuvre pour chœur et ensemble, composée actuellement à l'Ircam, sera créée en 2011 par les Neue Vocalsolisten Stuttgart et l'Ensemble intercontemporain.
À écouter : deux disques sont parus chez Kairos, comprenant notamment, pour l'un, Apeiros (direction : Simon Rattle) et, pour l'autre, A Map is not the territory (direction : Sylvain Cambreling).
À paraître : Im Lichte pour deux pianos et orchestre et Segue pour violoncelle et orchestre (Kairos)
Photo : DR
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