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Rencontre avec… un compositeur contemporain - Philippe Leroux - « Si je compose, c’est pour découvrir »

Depuis ses premières œuvres, à la fin des années 1970, jusqu’aux créations récemment entendues à Paris (Total SOLo et Quid sit musicus en 2014, le quatuor White Face en janvier dernier), Philippe Leroux, né en 1958, élabore une musique pleine de mouvement et de vie, qui « parle » aisément à l’auditeur tout en mettant souvent ses interprètes au défi d’une grande virtuosité.
 
Certains des titres que Philippe Leroux donne à ses œuvres ont l’aspect d’une énigme, d’un jeu de piste et de signes. Lettres répétées (AAA, PPP, M, m’M), jeux de mots (Image à Rameau, Phonie douce) fragments vraisemblables d’une phrase en devenir (Continuo(ns), (d’)Aller, Plus loin) : ces titres apparentés créent au sein de la production de Philippe Leroux comme un réseau, établissent peu à peu une œuvre globale. C’est le cas également de toutes ces œuvres qui traitent d’un aspect particulier du langage musical et dont le titre, cette fois, annonce clairement le propos : De la vitesse (pour six percussions, 2001), De la texture (pour huit instruments, 2007), De la disposition (pour orchestre, 2008) etc.
Postlude à l’épais, que le Meitar Ensemble de Tel-Aviv crée le 2 juillet dans le cadre du festival Manifeste, s’inscrit dans cette série d’œuvres. Troisième et dernière pièce d’un cycle à venir, le Postlude à l’épais est écrit pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano – un quintette emblématique de la modernité musicale depuis le Pierrot lunaire de Schoenberg (1912), repris tout au long des 20e et 21e siècle par nombre d’ensembles et de compositeurs. Le cycle comprendra un Prélude à l’épais (pour accordéon, contrebasse, trombone, percussions), suivi de L’Épais, où s’additionneront les deux effectifs. L’œuvre est aussi reliée à une partition antérieure, De l’épaisseur (pour violon, violoncelle et accordéon, 1998). Dans les deux cas, la musique repose sur un accord initial très dense. Dans Postlude à l’épais, l’épaississement est à la fois harmonique (l’accord initial s’élargit à chacun de ses retours) et horizontal : entre chaque apparition de l’accord, la musique se développe de plus en plus. « Il y a vraiment l’idée d’une opposition entre quelque chose d’extrêmement structuré et quelque chose de beaucoup plus libre : la structure contre la folie, ou au moins la spontanéité. L’idéal est quand une construction abstraite permet de réintroduire quelque chose qui soit de l’ordre de la pulsion, d’écrire des choses auxquelles on n’avait pas pensé tout d’abord ».
On retrouve, au fond, cette opposition dans toute la musique de Philippe Leroux, qui semble à la fois suivre un plan rigoureux et offrir un déroulement fluide et imprévisible. Il y a, pourrait-on dire, quelque chose d’essentiellement liquide ou ductile dans cette musique. « Organiser les événements sonores » : l’expression revient plusieurs fois dans le discours du compositeur, qui dans sa musique porte une grande attention au phrasé, à la mise en mouvement de l’œuvre. Que l’architecture soit au préalable très élaborée ou qu’elle jaillisse au contraire de façon spontanée (« on bénéficie alors de tous les moments où on a réfléchi »), l’écriture se fait presque toujours en suivant le déroulement de l’œuvre : « J’ai besoin de commencer une pièce par son début. Pour la musique que j’écris, qui est très organique, où une logique se créée entre les événements, j’ai sans cesse besoin de valider des choses dans le temps, d’entendre les moments les uns à la suite des autres. Écrire la fin d’une œuvre sans avoir ce qui précède me semblerait pour le coup très abstrait ».
S’il aime avoir, dès le début de la composition, une idée de la fin de l’œuvre, la structure, la construction, doit rester un outil et ne pas freiner l’invention. Quitte à laisser pour plus tard des idées abandonnées au cours de l’écriture. C’est ainsi que nombre de pistes envisagées en 2002 pour Voi(REX) pour voix, ensemble et électronique se retrouvent exploitées dans une œuvre ultérieure, Apocalypsis (2005-2006), qui parle son sous-titre, DéVOIlement, garde la trace de ce lien organique. Mais, toujours, la composition est vécue comme une expérimentation : « si je compose, c’est pour découvrir. Je me sens du reste plus découvreur que chercheur, plus Christophe Colomb qu’Ambroise Paré ! ». Et chaque œuvre ouvre sur de nouveaux territoires.
Philippe Leroux tient beaucoup à la « personnalité » de ses œuvres : même si leur langage est proche, elles ont chacune une « forte identité ». C’est pourquoi le compositeur essaie toujours, autant qu’il est possible, de se concentrer sur une partition à la fois. Les circonstances, parfois, l’obligent à laisser de côté une œuvre en cours. « Quand Gérard Grisey est mort [en 1998], je composais une œuvre pour orchestre, Plus loin. J’ai alors écrit sur la partition un son de trompette fortissimo, comme un signe de cette nouvelle terrible… et j’ai arrêté la composition. Je suis passé à tout autre chose, mon trio De l’épaisseur, avant de revenir cinq mois plus tard à mon œuvre pour orchestre ».
Se consacrer pleinement à chaque œuvre n’empêche cependant pas Philippe Leroux de réfléchir à de futures compositions. De fait, les projets sont nombreux : une pièce pour le saxophoniste Claude Delangle, un deuxième quatuor à cordes (après White Face créé en janvier dernier par le Quatuor Béla), une pièce pour orchestre, un concerto pour percussions… Entre ces œuvres, qui sont souvent des commandes, le compositeur se ménage des plages de liberté, comme avec ces Impressions d’enfance, un recueil de pièces pour enfants. Philippe Leroux, qui se souvient du plaisir éprouvé à découvrir le piano avec des petites pièces de Schumann, Rameau ou Couperin, est très attaché à ce projet : « Il est de notre responsabilité d’écrire ce genre de pièces à la fois très simples et de la plus grande qualité possible. Pour cela, il faut avoir une grande connaissance de son langage ». Rechercher dans la simplicité « l’essence de son art », c’est pour Philippe Leroux une façon de se découvrir, en toute liberté.
 
Jean-Guillaume Lebrun
 

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Création de Postlude à l’épais le samedi 2 juillet 2016 à 21h au Centre Georges Pompidou (Grande Salle) par le Meitar Ensemble (avec également Voi(REX) de Philippe Leroux et des œuvres de Beat Furrer, Ofer Pelz et Rebecca Saunders).
http://manifeste.ircam.fr/events/final/detail/
 
À écouter : Quid sit musicus par les Solistes XXI dirigés par Rachid Safir (1 CD Soupir)
 
À lire : Musique, une aire de jeux, entretiens avec Elvio Cipollone (éditions MF, 2009)

Photo © Pierre Raimbault

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