Journal
Rencontres musicales de Champéry 2021 (Suisse) – Sous le charme – Compte-rendu
La musique comme on peut l’aimer un soir d’été, lorsque le soleil transforme en diamants jaunes les traces de neige qui décorent d’éblouissants sommets montagneux, comme les altières Dents du Midi, et qu’un bourg charmant se resserre dans une église moderne au beau plafond de style scandinave pour savourer un moment musical de haute qualité, mais présenté et donné en toute simplicité. Telles sont ces Rencontres Musicales de Champéry, dans le Val d’Illiez, qui loin des budgets et des artistes fastueux qui font la dimension de Verbier, réussissent avec beaucoup d’invention et peu de tapage, à inscrire la musique dans un paysage grandiose, avec un choix d’interprètes de grande classe, souvent fameux, mais non encore récupérés par le star-système.
Voué à promouvoir les artistes valaisans pour partie, et à rassembler de jeunes talents que la scène internationale s’arrachera bientôt, quand ils ne sont pas déjà affirmés comme les Pražák, le Festival, qui se choisit un thème, est aujourd’hui présidé par un homme politique de la région, Georges Mariétan, et dirigé artistiquement avec finesse et clairvoyance par Véronique Vielle, qui a le bras sûr. Juste un léger problème d’acoustique parfois, l’église paroissiale renvoyant avec un peu trop de force la sonorité du piano, surtout quand les artistes invités n’en ont pas pris la mesure. Mais il aura fallu s’y replier, les exigences de placement dues au Covid ayant imposé de quitter le Temple, plus favorable mais plus petit.
L'église de Champéry © DR
Cette année, une Ode à Schubert en quelques concerts qui ont fait défiler des pointures telles que Florian Noack, les Quatuor Pražák et Sine Nomine, et ont culminé sur une exécution magistrale du Quintette « La Truite ». Quoi de plus connu dans l’œuvre de Schubert que cette pièce limpide, écrite à un moment heureux (il y en eut !) de la vie du compositeur, alors âgé de 22 ans ? A chaque interprétation, on en refait la découverte émerveillée, même si le thème du lied Die Forelle y sonne dans le quatrième mouvement comme une exquise rengaine. Le premier mouvement, notamment, éblouit par sa fraîcheur spontanée autant que par la complexité de ses agencements. Mais la pièce, pour fluide qu’elle soit et beaucoup moins tragique que d’autres chefs-d’œuvre de Schubert, ne souffre aucune médiocrité : et l’accord profond de cinq musiciens qui ne se connaissaient guère et ont pu ici le trouver, par la grâce d’un lieu inspiré et d’un nombre de répétitions suffisant, a fait chanter cet hymne à la nature et à la joie de vivre en une fascinante symbiose.
Si l’on nomme Adrien La Marca, avec son alto souple et sensible, Andrey Baranov, au violon étincelant, (il fut premier prix au concours Reine Elisabeth de Belgique), Adrien Gaubert qui fait ressortir avec sa contrebasse une voix originale dans ce type de musique de chambre, Estelle Revaz et son violoncelle doré, tous relevés par le jeu étincelant autant que finement dosé du pianiste néerlandais Hannes Minnaar, lui aussi lauréat du Concours Reine Elisabeth, et dont on attend la sortie du prochain enregistrement des Variations Goldberg, cet automne, on constate l’intelligence d’un choix avisé. En début de concert, la Sonate Arpeggione jouée par l’altiste russe Anna Serova, avait sonné un peu durement en raison de la trop grande force déployée par la pianiste Jessica Zhu, même si le style de cette pièce puissante et grave, le permettait.
Conclusion plus que festive pour le dernier concert de cette 22e édition avec une formation de cordes d’une grande séduction, la Camerata du Léman, dont les 15 musiciens sont soudés par une solide pratique, puisqu’ils se sont réunis il y a près de 10 ans. Si l’Ouverture D 8a de Schubert est passée sans laisser de trace profonde, ils ont fait chatoyer la grâce et le caractère richement mélodique de la Sérénade pour cordes opus 6 de Josef Suk, et conclu sur le Carnaval des Animaux, joué avec la drôlerie et la couleur qui s’imposent, et épaulés par le piano vigoureux du Suisse Guillaume Herspeger : un hommage à la vie, à l’enfance, à la nature, composé par Saint-Saëns en un bref jet de gaieté, et qui célébrait malicieusement la disparition, il y a cent ans, de ce « Roi des esprits de la musique et du chant », comme le saluait Proust. Le public a bondi pour les applaudir et pas seulement parce que les bancs de l’église sont durs ! Un souffle salutaire d’airs et de grand air que ce festival harmonieux dans ses vouloirs, et sa réalisation.
Jacqueline Thuilleux
(1) www.concertclassic.com/article/un-grand-cru-concert-de-cloture-du-concours-reine-elisabeth-2010
Eglise de Champéry, Val d’Illiez, 10 et 14 août 2021 // www.rencontres-musicales.ch/
Photo © DR
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