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Roméo et Juliette de Benjamin Millepied à la Seine Musicale – Jolis mômes – Compte-rendu

On se souvient du malheureux épisode vécu par l’Opéra de Paris, lorsque Benjamin Millepied, charmant jeune chorégraphe français, au look décontracté à l’américaine, avait voulu, à la demande de Stéphane Lissner, glisser dans la Grande Boutique, aux statuts et aux usages si déterminés, un peu de son aura californienne, affirmée à Los Angeles après une riche carrière d’étoile au New York City Ballet, et de flatteuses créations dans le monde entier, notamment un Casse-Noisette en 2005 pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève. Coup de pub, qui capota en deux ans, de 2014 à 2016. Le chorégraphe, par ailleurs agréable dans son style détendu, y avait signé, juste avant sa prise de fonctions, un Daphnis et Chloé tout à fait ravissant, comme on dit dans les salons, et qui n’a laissé aucune trace, sinon celle d’un charme incontestable.
 

© Julien Benhamou

Millepied, 45 ans, qui continue sur sa lancée aux Etats-Unis, revient en France pour une création mondiale autour de Roméo et Juliette, lancée à Fourvière en juillet, et qui tournera abondamment en France l’an prochain. Son style n’a pas changé : des balancements incessants, une sorte de perpetuum mobile, des sauts souples, une esthétique de jogging où l’on retrouve toute une vision américaine du mouvement dansé, de Paul Taylor à Twyla Tharp, qui eux, avaient une étincelle de génie. Tandis que Robbins, fabuleux chorégraphe, et Bernstein, immense compositeur, avaient su laisser du mythe une version inégalée et totalement neuve, avec West Side Story.

© Julien Benhamou
 
Son Roméo, donc, est joli, ce qui est à la fois flatteur et restrictif, car il s’agit d’un affreux drame, qu’il a cru bon d’élaguer en supprimant tous les personnages entourant les amants, et qui rendent l’histoire plausible. Bravo pour ceux qui connaissent Shakespeare par cœur, qui peuvent combler les trous, bravo pour ceux qui arrivent à oublier les versions historiques et ô combien émouvantes d’un MacMillan et de tant de Russes, qui suivaient fidèlement la grandiose musique de Prokofiev, écrite en 1935. Certes on peut se passer des pourpoints et des robes brodées pour évoquer une histoire éternelle, et la glisser dans des vêtements contemporains (signés Camille Assaf), n’a rien d’exceptionnel, d’autant qu’elle facilite les performances des danseurs. Toute la danse du moment joue pratiquement cette carte, et on ne s’en plaint pas.

L’essentiel est ailleurs, car pour rendre ce drame éloquent, histoire d’un amour interdit et impossible, (c’est pourquoi Millepied a varié les sexes du couple), on a besoin d’autre chose que d’une chorégraphie totalement répétitive, avec des mouvements superbes, et superbement effectués par la troupe du L.A. Dance Project, en l’occurrence la belle Sierra Herrera, vibrante Juliette, et le léger Peter Mazurowski, en Roméo, mais qui ne dégagent que peu d’expressivité et traduisent juste des états globaux de joie ou de désespoir, sans les définir ni prendre le temps de s’arrêter un peu pour donner de l’intensité aux changements de situation.
 

© Julien Benhamou

Reste l’image, c'est-à-dire l’inventivité agréable des projections imaginées par François-Pierre Couture, qui changent dans chaque lieu où se joue le spectacle, l’idée de mêler danseurs en vrai sur la scène et leur parcours sur l’écran, bien utile dans un aussi vaste espace que la Seine Musicale, la couleur de feu qui donne leurs force aux images, et surtout la beauté des danseurs, légers et brillants. Mais la force avec laquelle est assénée la partition de Prokofiev, jouée à une vitesse débridée, sans lyrisme, et avec de grands coups de boutoir (l'enregistrement de Valery Gergiev à la tête du London Symphony Orchestra), semble bizarrement combler les déficiences de la chorégraphie et lui donner plus de poids. Au bout du compte, malgré la vigueur juvénile et séduisante des danseurs, quelques beaux moments comme le fameux duo du balcon, transposé au bord de l’eau, on se dit qu’il s’agit là de fausse modernité, sans vision vraiment forte et novatrice. On applaudit, cependant, car la salle, bondée, apprécie le charme des interprètes, mais la larme ne vient pas, et c’est dommage.  
  
Jacqueline Thuilleux

Roméo et Juliette (chor. B. Millepied / mus. S. Prokofiev) – Boulogne-Billancourt, La Seine Musicale, 20 septembre ; représentations jusqu’au 25 septembre 2022 // www.laseinemusicale.com/spectacles-concerts/romeo-et-juliette/
 
 Photo © Julien Benhamou

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