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Rungis Piano Piano Festival 2024 – La vitesse supérieure – Compte-rendu
C’est en 2020, dans un contexte compliqué il va sans dire, que le Rungis Piano Piano Festival est né. Mais il a tenu bon et a su s’imposer, bien aidé par l’enthousiasme et le choix original de ses concepteurs, Ludmila Berlinskaya et Arthur Ancelle, qui ont eu la riche idée d’installer à Rungis le seul et unique festival français entièrement réservé au répertoire de duo de piano et à quatre-mains.
Premier concert hors les murs
Les quatre premières éditions avaient déjà bien dessiné les orientations artistiques de la manifestation, qu’il s’agisse d’une exploration très large du répertoire (des grands classiques à une absolue rareté telle que le 2e Concerto pour deux pianos de Victor Babin) ou d’une grande ouverture aux jeunes interprètes (confortée par la mise en place de l'Académie Piano-Piano). Des orientations confirmées cette année avec une 5e édition qui, pour tous ceux qui suivent l’aventure du Rungis Piano Piano Festival depuis le départ, témoignait d’un incontestable passage à la vitesse supérieure. 2024 aura en effet d’abord été marquée par un premier concert hors les murs, prestigieux car il se tenait au Théâtre des Champs-Elysées avec la participation de l’Orchestre national de Lille conduit par Dmitri Liss.
Le Duo Berlinskaya-Ancelle était au rendez-vous, bien évidemment, mais en seconde moitié de programme. S’agissant d’une soirée aussi « exposée », on ne peut que saluer le geste confraternel de directeurs artistiques qui ont confié la première partie à deux jeunes collègues : Natsu Aoki et Kazune Mori. Ces artistes japonais se sont rencontrés durant leur études à Paris et forment depuis le mitan de la décennie passée le Duo Reflet (lauréat cette année de l’Académie Piano-Piano). Celui-ci n’est d’ailleurs pas un inconnu pour les lecteurs de Concertclassic puisque, dès 2021, nous vous avions signalé ses qualités à l’occasion de la soirée « Ensemble en résidence » de la Roque d’Anthéron. (1)
Le Duo Reflet (Natsu Aoki, face, et Kazune Mori) © Ugo Ponte - Onl
Lumineuse fluidité et plaisir contagieux
D’excellentes impressions, qui se confirment au TCE dans le 2e Concerto en la bémol majeur pour deux pianos MWV 06 de Mendelssohn ; un ouvrage terminé peu avant le seizième anniversaire du compositeur – et qui en dit long sur son incroyable précocité ! Plus que vers les classiques, c’est d’abord du côté des auteurs de style brillant (Weber, Moscheles, etc.) que regarde une musique dont la lumineuse fluidité se double d’une redoutable exigence technique.
Réussir les traits est une chose, encore faut-il les habiter. La communicative complicité et le plaisir contagieux du Duo Reflet font merveille. D’emblée il nous démontre que Mendelssohn pense vraiment à deux pianos. Une complémentarité des instruments, une fusion des coloris que les interprètes font encore plus ressentir dans le tendre Andante, où l’on voit poindre le futur auteur des Romances sans paroles. Simple et touchant, d’une grande pureté de ligne de bout en bout, le duo referme le mouvement avec une poésie incroyable – on dirait un rêve qui s’évanouit ... – avant de s’élancer dans le piaffant finale Allegro vivace, développé et très original du point de vue formel. Bien secondés par des musiciens lillois attentifs, les solistes savent relancer le discours, créer la surprise. Beau succès suivi, en bis, de la Valse op. 39/15 de Brahms, amoureusement distillée à quatre mains.
Arthur Ancelle et Ludmila Berlinskaya © Studio NathSam
Le concerto retrouvé
Au la bémol majeur du Mendelssohn, répond après la pause le la bémol mineur du Concerto pour deux pianos op. 88a de Max Bruch. L’ouvrage fut écrit en 1912 à l’intention d’un duo de pianistes américaines, les sœurs Rose et Ottilie Sutro. Il serait trop long de narrer ici l’histoire assez rocambolesque d’une pièce « kidnappée », si l’on peut dire, par des destinataires qui n’hésitèrent pas à lui apporter force modifications. Reste en tout cas qu’une vente aux enchères de documents de feue Ottilie Sutro, morte en 1970 presque centenaire, a permis au pianiste Nathan Twining de mettre la main l’année suivante sur le manuscrit de Bruch – en achetant pour 11 $ un boîte pleine de vieux papiers !
En quatre sections (Andante sostenuto/Andante con moto –Allegro molto vivace / Adagio ma non troppo /Andante –Allegro), l’Opus 88a est une partition singulière, aux couleurs sombres, dédaigneuse des séductions faciles, mais d'un lyrisme prégnant et souvent assez étrange. Un univers dans lequel on pénètre à travers un Andante sostenuto d’écriture fuguée. L’atmosphère s’anime dans l’Allegro molto dont Ludmila Berlinskaya et Arthur Ancelle savent traduire l’élan, portés par la direction chaleureuse et vive de Dmitri Liss, avant de nous plonger dans l’Adagio. Entre recueillement et envolées lyriques, ils y évitent tout statisme pour mieux mieux libérer le souffle et les couleurs de la musique. De souffle, le finale n’en manque pas non plus et montre des solistes engagés, attentifs à en restituer la puissance, mais sans dureté, bien aidés en cela par l’ONL et son chef.
En bis, la Scott Joplin Rag Rhapsody de Kevin Olson, à deux pianos et huit mains, réunit les deux duos de la soirée : un délice !
Joël Suhubiette © Studio NathSam
Le Duo Pierrot chez Rossini
Passage à la vitesse supérieure a-t-on dit, cela vaut aussi pour le festival dans le contexte rungissois. La cité du Val-de-Marne (désormais très aisément accessible par la Ligne 14) dispose depuis peu d’un nouveau Conservatoire de musique, de danse et d’arts plastiques (qui réunit d’heureuse et fonctionnelle manière patrimoine et architecture moderne), équipé d’un auditorium.(2)
Le Duo Pierrot (Martin Jaspard et Paul Lecoq) © Studio NathSam
Le 5e Festival n’a pas manqué de l’investir pour y proposer entre autres la Petite messe solennelle de Rossini avec le chœur de chambre Les Eléments de Joël Suhubiette. Un ouvrage qui, dans le contexte du Festival de Rungis, est donné avec le concours du Duo Pierrot (Martin Jaspard et Paul Lecoq), issu de l’Académie Piano-Piano. Au sortir du concert, Joël Suhubiette s’émerveillera de la façon dont les deux jeunes pianistes se sont intégrés à son interprétation.
Par-delà le l'aisance avec laquelle le Duo Pierrot prend part à ce Rossini, on est frappé par l’intelligence – l’humour et le second degré aussi – dont il fait montre dans une partition qui n’est pas toujours aussi soignée du point de vue pianistique. Il y a évidemment ce Prélude religieux, qui peut aisément se muer en un interminable pensum et se déploie ici avec une musicalité rare. Et puis de nombreux détails, des couleurs que Martin Jaspard et Paul Lecoq saisissent et soulignent avec les réflexes, la respiration d’un vrai duo. Le résultat témoigne d’une vie et d’un relief admirables et aide Suhubiette et ses chanteurs à offrir une approche aussi sensible que vivante, servie par un quatuor vocal constitué de Julia Wischniewski, Lise Nougier, Yu Shao et Matthieu Heim. Et, on s’en voudrait de l’oublier, par l’harmonium d’Emmanuel Mandrin.
Alain Cochard
(1) Lire le CR : www.concertclassic.com/article/soiree-des-ensembles-en-residence-du-41e-festival-de-la-roque-dantheron-les-jeunes-pousses
(2) Lire l'interview de Bruno Marcillaud, maire de Rungis : www.concertclassic.com/article/trois-questions-bruno-marcillaud-maire-de-rungis-nous-sommes-une-ville-atypique
> Voir les prochains concerts de piano en France <
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 3 octobre / Rungis, Auditorium du Conservatoire, 4 octobre 2024
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