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Severin von Eckardstein et Dang Thai Son aux Nuits Oxygène – Deux pianistes en apnée – Compte-rendu
« Le festival qui fait respirer le classique » : telle est la devise des « Nuits Oxygène », une saison musicale organisée au Temple Saint Marcel à quelques encablures du Val-de-Grâce, loin des manifestations et lieux médiatisés. Pierre-Yves Lascar (également producteur du label Artalinna) s’est investi avec passion dans cette entreprise où le clavier est roi, invitant deux pianistes rares en France : l’Allemand Severin von Eckardstein (vainqueur du Concours Reine Elisabeth de Bruxelles en 2003) et le Vietnamien (naturalisé Canadien) Dang Thai Son (photo, Grand Prix du Concours Chopin de Varsovie en 1980), des artistes profondément musiciens plus attachés à l’intériorité qu’aux effets.
© severin-eckardstein.de
Très concentré, Von Eckardstein débute par la Sonate en sol majeur D. 894 de Schubert dont le sous-titre « Fantaisie » prend tout son sens sous des doigts implacables mais aptes toutefois à doser poésie et vigueur. On pourra trouver cette interprétation moins viennoise que germanique bien qu’elle s’avère très personnelle. Attachée à la grande forme, elle révèle une interrogation constante et une variété d’expression qui ne laissent pas indifférent.
Les 4 Klavierstücke op. 119 de Brahms constituent un moment exceptionnel fait de rêverie extatique, d’imagination pure où le sens de l’analyse le dispute à la spontanéité, sans pour autant perdre de vue la fermeté et l’héroïsme (splendide Rhapsodie conclusive). Au bord d’une source (1ère Année de Pèlerinage) et trois Etudes d’exécution transcendante de Liszt atteignent l’inouï, en particulier Mazeppa que l’on n’avait pas entendue d’une telle intensité depuis Lazar Berman. La maîtrise technique et l’engagement se doublent d’une alchimie du toucher (Ricordanza) qui flirte avec la perfection.(1)
Le programme de Dang Thai Son ouvre lui aussi d’amples perspectives telle une invitation au voyage dans l’univers pianistique. Les six Préludes de Debussy issus des deux Livres sont traités de façon cursive et la magie opère tant le raffinement (Brouillards), la précision du détail et l’agilité féline (La danse de Puck) font table rase des contraintes d’un instrument qui perd son caractère percussif pour se fondre dans la volupté du timbre (Feux d’artifice). La Sonate « Reliquie » D. 840 de Schubert – en deux mouvements économes de moyens – laisse place à une exécution où la construction l’emporte parfois sur la liberté de ton mais qui s’achève par un Andante hors du temps.
Dans les trois morceaux issus de Miscellanea op. 16 de Paderewski (1888), le soliste évite la tentation salonnarde par une affirmation du trait (Légende n°1) qui n’interdit ni fluidité, ni élégance (Mélodie et Nocturne).
Le Rondo à la mazur, la Barcarolle et le Scherzo n°2 de Chopin constituent le jardin secret de Dan Thai Song, maître subtil, sublime styliste et capable désormais de prendre plus de risques avec une densité de son que l’on ne lui connaissait pas. En bis, l’énigmatique Mazurka op. 17 n°4 exprime toute la mélancolie d’un monde enfoui dans la mémoire. Enthousiasme d’un public venu nombreux et qui salue debout un interprète aux semelles de vent.
Michel Le Naour
(1) Rappelons que Severin von Eckardstein a signé chez Artalinna une splendide version de la Maison dans les dunes de Gabriel Dupont, couplée avec les deux séries d’Images de Debussy (ATL - A020)
Paris, Temple Saint-Marcel, 5 et 26 juin 2019
Photo © dangthaison.net
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