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Signes de Carolyn Carlson à l'Opéra Bastille – Quand les couleurs dansent – Compte-rendu
Le Ballet de l’Opéra de Paris finit sa saison en beauté : tandis que l’Histoire de Manon, avec sa sensibilité écorchée et sa musique entêtante, a fait battre les cœurs au Palais Garnier (1), l’Opéra Bastille mise sur une œuvre qui lui va impeccablement, ce qui est loin d’être toujours le cas : voici avec Signes, de Carlson, un habillage résolument contemporain, créé pour l’espace rigide de la salle, en 1997, et qui transforme la scène en un festin de couleurs animées. On sait la carrière hors normes de Carolyn Carlson, émule du grand Alwin Nikolaïs, son irréductible désir d’imposer une autre danse, on sait sa beauté, son caractère peu amène, ses exigences, et le fait qu’elle n’a ressemblé à personne. Si Cunningham, Martha Graham ou Pina Bausch ont eu leurs émules, si la danse israélienne, aujourd’hui au pinacle, projette sur les scènes une énergie animale irrésistible, Carlson, elle, fut une ligne en perpétuel mouvement, un moulin à vent, dont les longs bras, à force de tourner, induisaient une sorte d’immobilité qui n’a pas eu d’héritiers.
Hannah O'Neill © Benoîte Fanton / Opéra national de Paris
Signes, donc, n’est pas une fresque dansante illustrée et mise en musique mais une galerie d’immenses toiles imaginées par le grand peintre coloriste Olivier Debré, en qui Carlson, pour une fois, sut reconnaître une figure de maître. Tout se déroule comme une série de haïkus, resserrés en figures ondulantes ou secouées de gestes géométriques et très saccadés, qui semblent refléter l’ambiance des couleurs projetées : paysages rêvés, des bords de Loire, d’un rouge éclatant et inattendu, aux montagnes chinoises nébuleuses ou des fêtes sensuelles et débridées nées en Inde. Le tout uniformisé par une sobriété d’approche, un côté non figuratif auquel les costumes de Debré, magnifiques dans leur linéarité, donnent un sens, en se fondant dans la toile et ses éclairs de lumière, signés Patrick Desombes.
© Benoîte Fanton / Opéra national de Paris
Sourire, dit Carlson, pour donner un axe à son travail : cela n’est pas toujours évident, car certaines séquences comme celles des moines nordiques, tout en violence, ne le portent pas. Mais l’essentiel de cette poétique promenade au sein d’impressions le plus souvent tissées de gestes planants, apporte une sorte de sérénité, de jouissance harmonieuse, et fascine par son univers étrange. Dominant une petite troupe possédée par l’originalité du propos gestuel et onirique, le couple Germain Louvet (photo), souverain dans ses vastes ports de bras et son grand manteau, et Hannah O’Neill (photo), lumineuse de grâce légère ou altière, comme une nymphe ou une belle dame sortie que quelque cour impériale chinoise, glissant dans sa robe d’infante jaune d’or, capte et séduit par la pureté de ses tracés, tandis que la musique de René Aubry scande ces variations d’humeur et d’horizons avec un sens de la répétition qui se module habilement lorsque l’action le requiert. Et on se laisse porter. Ah les joies de ne rien comprendre quand il y a tout à prendre …
Jacqueline Thuilleux
(1) Lire le CR : www.concertclassic.com/article/lhistoire-de-manon-au-palais-garnier-tourbillon-emotionnel-compte-rendu
Signes : Opéra Bastille, 13 juillet ; dernière représentation le 16 juillet 2023. www.operadeparis.fr
Photo © Benoîte Fanton / Opéra national de Paris
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