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Soirées Roland Petit au Palais Garnier - L’art du chic - Compte-rendu
On a le vertige en relevant les noms qui entourent la signature de Roland Petit pour ce spectacle composé de trois de ses plus grands ballets : Picasso, Prévert, Kosma, Brassaï, Dutilleux, et le merveilleux Antoni Clavé. Petit, on l’a souvent dit, fut comme Diaghilev, capable d’attirer à lui les meilleurs créateurs du temps, et d’en faire un agrégat significatif. Les trois ballets présentés ici sont de la même veine, celle qui dès 1941, le propulsa comme un chorégraphe surdoué, apte, comme Béjart, à prendre le pouls de son temps et de le cristalliser en un faisceau de correspondances, avant de devenir un créateur prolifique tenté par une foule de thèmes. J’ai dansé sur les flots, a-t-il titré un livre de notes édité en 1993 chez Grasset. Là, la marée est celle de l’après-guerre, lourde, sombre et cependant porteuse de nouveaux élans.
Du moins, c’est ainsi que le bouquet de génies réunis ici nous la donne à voir et percevoir. L’inouï est que Petit ait su les rassembler alors qu’il n’avait que 21 ans : tel est Le rendez-vous, longtemps oublié, et heureusement remis à l’honneur par l’Opéra en 1992. D’emblée s’y impose une nostalgie brumeuse et parigote, le son de l’accordéon, une femme à la fois titi et fatale, déjà emblématique de ces sphinges chères au chorégraphe, comme dans le Jeune homme et la mort. Ce monde n’est plus le nôtre mais il sait admirablement nous y replonger. Cet Eros-Thanatos qui cimente l’œuvre de Petit, apparaît encore, comme obsessionnellement, dans le prenant Loup, pour lequel Dutilleux écrivit une musique inquiétante et colorée : variation sur La Belle et la Bête, mais finissant sur leur sacrifice, en regard d’un monde froid et imperméable aux différences. Instants poignants, au charme trouble, notamment dans les pas de deux très sensuels de la jeune fille avec son loup-charmant. Seuls les costumes de Carzou sont aujourd’hui lourdement datés.
Quant à l’inoxydable Carmen, elle bat de ses longues jambes provocatrices le cœur du pauvre Don José et la mémoire des publics depuis que Zizi l’incarna pour la première fois à Londres en 1949. Et bizarrement, c’est elle qui sort le moins victorieusement de ce retour aux sources. Peut-être parce que les personnages y sont trop caricaturaux, notamment celui de Don José, plus proche du prince de Giselle que d’un modeste brigadier. L’excès de grandiloquence nuit sans doute à cette histoire simple et noire, à traiter au scalpel. Peut-être aussi le style s’en est-il perdu, à force d’être tombé dans le domaine public ! Eleonora Abbagnato s’y lance avec une conviction farouche, mais froide, malgré sa beauté, face à un Nicolas Le Riche grandiose, mais comme statufié.
Plus subtile, en revanche, l’interprétation du Loup, avec un saisissant Audric Bézard, face à Laetitia Pujol dans l’un de ces meilleurs rôles par sa grâce discrète et sa sensualité spontanée. Quant au Rendez-vous, petit bijou à agrafer sur le mur de l’après-guerre comme une estampe, il bénéficie d’interprètes stylés, stylisés, qui font tourner ces pages avec élégance et poésie. L’impressionnante Alice Renavand y alterne avec l’incomparable Isabelle Ciaravola, laquelle aurait pu être une des muses de Petit il y a cinquante ans. Quant à la direction musicale de Yannis Pouspourikas, elle montre un Orchestre Colonne tout à fait opérationnel, bien plus qu’à l’accoutumée.
Jacqueline Thuilleux
« Roland Petit » - Paris, Palais Garnier, 24 mars, prochaines représentations les 26, 27, 28 et 29 mars 2013
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Photo : Julien Benhamou / Opéra national de Paris
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